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qu’elle ne trahit pas. S’il y a des larmes dans la voix de Benvenuto, s’il regrette Scozzone, il croit la regretter partie, mais non pas morte. Et pourtant, quand la forme voilée a passé près de lui, rien qu’à l’adieu qu’il lui adresse, à cet adieu demeuré sans réponse, à l’accablement de ces quelques notes tombées lentement de ses lèvres sur deux accords lugubres, glacés, nous sentons qu’on meurt dans ce reliquaire et que la pauvre Florentine s’en va pour ne jamais revenir.

La place nous manque, et nous aurions beaucoup à dire encore ; du dernier acte, il est vrai, rien que nous n’ayons déjà dit. M. Saint-Saëns est resté jusqu’au bout dans la concision et la simplicité, et des scènes telles que la veillée de la duchesse auprès du reliquaire dont elle a fait un cercueil, ou l’apparition de Colombe, je dirais volontiers sa résurrection, tant il y a de lumière et de vie dans ce retour de la jeune fille échappée à la mort, tout cela mérite qu’on écoute sans négligence ni distraction une œuvre faite de même.

Si nous n’avons pas encore parlé du ballet, c’était pour ne pas interrompre le récit du livret, comme le ballet en interrompt la marche. Il ne tient et ne sert pas beaucoup à l’action ; peut-être aimerait-on mieux l’entendre au commencement ou à la fin plutôt qu’au milieu du drame, qu’il partage en deux. Mais il était impossible de le placer ailleurs. L’économie de la pièce le commandait, et aussi la tradition, qui veut qu’on danse non-seulement dans tous les opéras, mais qu’on y danse à une certaine heure : ni trop tôt, ni trop tard. Et puis le ballet d’Ascanio se danse sur une si adorable musique, qu’on lui pardonne tout, sauf les pirouettes du jeune baladin juponné en Bacchus. Ce ballet est le plus charmant du répertoire contemporain, avec celui de Faust, à coup sûr, et peut-être celui du Cid. Il comprend une dizaine de petits morceaux, tous très courts et presque tous parfaits, écrits le plus souvent dans un style un peu archaïque, dans la couleur de l’antiquité, mais d’une antiquité vue à travers la renaissance. Citons surtout le n° 4, Bacchus et les Bacchantes ; le n° 5, apparition d’Apollon et des Muses ; le n° 7, l’Amour et Psyché, ces deux derniers parmi les plus exquis, l’un et l’autre dignes de Gluck par leur noblesse et leur sérénité ; la variation de flûte, que murmure M. Taffanel avec une vélocité et une limpidité à rendre jaloux le dieu Pan lui-même ; enfin, la valse finale, étonnamment rythmée et plaisamment attaquée par un cornet à pistons tout en dehors, vulgaire à dessein et un peu effaré, comme s’il avait le sentiment de son extravagance, presque de son excentricité.

Quant aux interprètes d’Ascanio, l’un : M. Lassalle, est, selon son habitude, de premier ordre, et cela non-seulement dans l’ensemble de son rôle, mais dans les plus fins détails. Les autres, aussi selon leur