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vivantes amours ! Comme les mélodies changent, et non-seulement les mélodies, mais les rythmes et les timbres, avec les personnages divers et même avec les divers sentimens des personnages ! La progression de tout cet acte est très bien conduite. On arrive au sommet avec le duo chaleureux des deux hommes, avec la phrase entraînante de Benvenuto : Un divin, vrais fol amour est dans mon âme, surtout avec la strophe lyrique qui met une flamme à la fin de ce duo : O beauté, j’ai compris ta puissance. Vulgaire, dit-on, cette mélodie. Non pas. Elle est à certain moment tout près de le devenir, mais cette fois encore, quand viennent les deux vers : Sois le but de ma jeune espérance, Paradis que je croyais fermé, il suffit d’une modulation mineure, d’une résolution simple, presque naïve, qui surprend et qui charme par sa naïveté même, pour écarter le péril et relever l’inspiration.

Le quatrième acte se passe, comme le second, dans l’atelier de Benvenuto. Ici encore le musicien a traité sans effort et sans prétention des situations capitales : la découverte par Benvenuto des amours d’Ascanio et de Colombe, son généreux sacrifice, le dévoûment plus héroïque encore de Scozzone et l’enlèvement du reliquaire où vient de s’enfermer la jeune femme. Le quatuor entre Benvenuto, Ascanio, Scozzone et Colombe n’a pas et ne devait pas avoir l’envergure du quatuor d’Henry VIII ; de dimensions plus modestes et d’un style plus tempéré, il n’est ni moins bien écrit ni moins mélodique. Le motif est tout près de rappeler à la fois (singulière coïncidence) un motif de l’Éclair et un autre du Pardon de Ploërmel ; mais, comme toujours, un rien, un rythme en syncope, ravive l’originalité de l’idée. Mélodique aussi le cantabile de Benvenuto : Allez, je ne vous en veux pas, et les intransigeans ne pouvaient manquer de crier au scandale. Elle est pourtant bien en situation, pleine à la fois de douleur et de bonté, cette phrase simple, accompagnée simplement et tout bas. Mais parce que le musicien s’est permis quelques mesures de pizzicato, voilà son orchestre, l’orchestre d’un Saint-Saëns, traité de guitare. Oublierait-on qu’il y a dans la musique des exemples de pizzicato plus que touchans, sublimes ? Témoin le scherzo de la symphonie en ut mineur.

La fin de ce quatrième acte est la page la plus émouvante d’Ascanio. Elle nous émeut, comme tant d’autres nous ont charmé, par la discrétion et la sobriété. Dans la décision de Scozzone, dans l’arrêt de mort prononcé tout bas sur elle et par elle, dans le sanglot qu’elle étouffe, pas un accent insuffisant et pas un accent superflu. Voici la châsse où la pauvre fille vient de se coucher. Couverte d’une mante et voilée, cette femme qui marche à côté des porteurs, nous savons, nous, que c’est Colombe ; mais Benvenuto la prend pour Scozzone. Voilà pourquoi la plainte de l’orchestre est si discrète ; voilà pourquoi cette marche funèbre fait si peu de bruit, confidente d’un terrible secret