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lustre Gerbert, archevêque de Reims, qui passait pour un magicien. Lui-même avait quelque foi dans les opérations de la magie blanche ; il croyait qu’un coup de baguette fait sortir de terre tout ce qu’on veut, et il aspirait à tout rajeunir, à tout renouveler, à tout réformer. Il voulait gouverner un empire « victorieux comme celui de Trajan, réglementé comme celui de Justinien, sacré comme celui de Constantin. » Pénétré du sentiment de sa mission, il s’intitulait le serviteur de Jésus-Christ. A des curiosités d’antiquaire, il joignait une imagination ardente et le souvenir toujours présent de la glorieuse puissance dont il était l’héritier. Le texte de ses lois témoignait de l’étrange confusion de ses idées. « Nous avons ordonné ceci, disait un de ses édits, afin que, l’Église de Dieu étant librement et fortement établie, notre empire puisse faire des progrès et la couronne de notre chevalerie triompher. Puissions-nous, de la sorte, après avoir vécu justement dans le tabernacle de ce monde, être jugé digne de sortir de la prison de cette vie et de régner très justement avec le Seigneur tout-puissant ! »

Toutes les ressemblances sont imparfaites, toutes les comparaisons sont boiteuses ; mais comme Otton III, Guillaume II croit fermement à sa mission de réformateur ; comme lui, il aspire à tout renouveler, et s’inspirant à la fois des besoins du temps présent et des glorieux souvenirs qu’il a reçus en héritage, sa méthode est d’employer des matériaux antiques pour faire du neuf. On parle d’organiser à Berlin une Exposition universelle, dont la merveille sera une montagne de fer surmontée d’un château féodal ; cette montagne sera un symbole. Les princes allemands connaissent trop leurs intérêts pour goûter beaucoup les réformes ; ils n’ont rien à y gagner, et grâce à M. de Bismarck, il leur reste quelque chose à perdre. Sans doute ils se défient des projets de Guillaume II, sa fiévreuse activité leur donne du souci. N’y a-t-il pas quelque danger à remuer les eaux tranquilles, à faire des promesses qu’on n’est pas certain de remplir, à poser des questions inquiétantes que les sages désespèrent de résoudre, à évoquer les démons sans être sûr qu’on a le pouvoir de les exorciser ? M. de Bismarck n’a jamais fait que de la politique, et les petits souverains comprenaient sans peine la langue très nette et un peu sèche qu’il leur parlait. Réussiront-ils à apprendre celle qu’on leur parlera désormais ? Au surplus, quelle figure feront les rois de Bavière et de Wurtemberg en présence d’un empereur qui rêve d’exercer sur tout le monde civilisé une sorte d’hégémonie morale ? Ils disparaîtront comme des insectes dans le rayonnement de sa gloire, et leurs jours ne seront qu’un néant.

Ce n’est pas seulement dans certaines petites cours allemandes que le grand homme d’État a laissé des regrets ; on trouverait facilement hors d’Allemagne des capitales où sa chute a été regardée comme un