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LA
DÉMISSION DE M. DE BISMARCK
ET
L’OPINION ALLEMANDE

La retraite inopinée de M. de Bismarck a causé, dans tous les pays étrangers, une vive émotion mêlée d’un grand étonnement. À vrai dire, personne n’a été surpris qu’une fois de plus le chancelier de l’empire allemand eût offert sa démission ; c’est un jeu auquel il avait accoutumé l’Europe. Ce qui a surpris tout le monde, et lui-même peut-être, c’est que cette démission ait été acceptée. Jadis, en mainte circonstance, il avait imposé ses volontés à l’empereur Guillaume Ier en lui mettant le marché à la main, en le menaçant de s’en aller, et toujours l’empereur avait répondu : « Jamais ! » Au mois de novembre 1879, il eut un long entretien confidentiel avec notre ambassadeur à Berlin, M. le comte de Saint-Vallier, à qui il prit la peine d’expliquer les raisons qui l’avaient déterminé à se rendre à Vienne pour y concerter un accord avec l’Autriche. — « Nous avions décidé, Andrassy et moi, ajouta-t-il, que nous donnerions connaissance de notre accord au cabinet de Saint-Pétersbourg ; mais nous avions compté sans les accès de sentimentalisme irréfléchi de mon vénéré maître et seigneur. Il crut que cette notification serait regardée comme une provocation et une offense par l’empereur Alexandre II, et plusieurs jours durant il s’est refusé à la faire. J’ai dû recourir aux grands moyens et donner ma démission. Il l’a refusée, mais il y a répondu par l’offre de son abdication. J’ai refusé à mon tour, et nous avons fini par nous entendre ;