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concluant, est utile : elle aide au repos de tous ; mais notre intercession est utile aussi : elle tempère votre sévérité. » Saint Augustin avait raison. Je comprends sans doute que ces grands personnages n’aient pas été satisfaits de rencontrer des résistances auxquelles ils n’étaient pas accoutumés. Mais s’il est vrai, comme on l’a dit souvent, que le despotisme impérial n’ait eu des conséquences si funestes que parce que c’était un pouvoir sans limite et sans contrôle, n’était-il pas bon qu’il se dressât, en face de lui et de ses agens, une autorité morale qui leur imposât la modération et la justice ?

Les querelles religieuses firent plus de mal. Le monde ancien ne les avait guère connues ; elles prirent une grande intensité avec le triomphe du christianisme. Les écrivains païens ont toujours été fort surpris de la manière dont les sectes chrétiennes se malmenaient entre elles. Déjà Celse en fait la remarque : « Ils se chargent à l’envi, dit-il, de toutes les injures qui leur passent par la tête, se refusant à la moindre concession pour le bien de la paix, et animés les uns contre les autres d’une haine mortelle. » Amnien Marcellin est encore plus dur et déclare « qu’il n’y a pas de bêtes féroces qui le soient autant contre les hommes que les chrétiens le sont entre eux. » Assurément ces querelles étaient très fâcheuses dans un État qui avait besoin d’unir toutes ses forces pour résister à l’ennemi du dehors, mais il était bien difficile de les éviter. La lutte est la condition de la vie ; l’ardeur des croyances amène la vivacité des disputes ; les discussions religieuses ne cessent entièrement que quand il n’y a plus de religion. Il reste à savoir si ces passions, qui sont la conséquence inévitable des fortes croyances, et qui peuvent troubler par moment la surface des États, n’entretiennent pas dans les esprits une animation, un mouvement, une énergie dont tout profite, et si un peuple inerte, qui s’est désintéressé de tout, et dont le calme n’est fait que d’indifférence, est un appui sur lequel on puisse compter au moment du péril ! Il me semble que le mal n’était pas dans ces discussions elles-mêmes, mais dans le rôle que l’État crut devoir y prendre. Ces sortes de luttes s’enveniment dès qu’il s’en mêle. En poursuivant et en proscrivant les sectes, non seulement il les rend plus irréconciliables entre elles, mais il les tourne contre lui ; il commet la plus grande des maladresses, qui est de se faire gratuitement des ennemis. On ne met pas hors la loi vingt-deux hérésies d’un seul coup, comme fit un jour Théodose, sans exciter des haines qui se retrouvent au moment du danger. On raconte que Genseric, quand il envahit l’Afrique, trouva des alliés dans les restes des donatistes que les empereurs orthodoxes avaient cruellement persécutés, et qu’ils lui rendirent la victoire plus facile.