Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/638

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

C’est la Chine surtout qui nous intéresserait : sa population et ses ressources naturelles peuvent égaler celles de l’Europe entière, moins la Russie, qui est un monde à part. Mais la Chine aime le silence et le mystère : elle ne parle que de temps à autre, sur un mode ironique, par la bouche d’un fin lettré, qui habite depuis si longtemps les bords de la Seine qu’on peut se demander s’il n’est pas aussi Parisien que Chinois.

Le Japon, au contraire, réfléchit tout haut. Non-seulement il parle, mais il écrit, avec un accent de sincérité profonde, avec l’anxiété de la recherche et du doute. Ces Japonais, dont il est convenu qu’ils sont légers et frivoles, nous livrent des études que le plus méditatif et le plus érudit docteur de Leipzig ou de Berlin aurait peine à égaler en profondeur, et dont il ne saurait en aucun cas atteindre la netteté. Le Japon a-t-il trouvé définitivement sa voie, il y a vingt-deux ans, en 1868, quand il surprit l’univers par cette soudaine révolution qui abattit le pouvoir usurpateur du shogoun, restaura dans tous ses droits le mikado, détruisit la féodalité et prit à la fois quelques-unes des lois et toutes les modes extérieures des Européens ? Cette voie nouvelle, où il est entré, avec la précipitation des peuples en révolte, doit-il y persévérer ? Du moins, par quelles étapes, avec quelles précautions convient-il qu’il y avance désormais ? Pratiquement ou théoriquement, tous au Japon aujourd’hui se posent cette question qui comporte tant d’aspects divers.

Hommes d’état ou publicistes ont la conscience de la gravité et des difficultés du problème. L’année 1890 s’ouvre, pour eux, pleine de perplexités. Elle va inaugurer un nouveau régime politique, peut-être aussi un nouveau régime économique. Sous la pression des chefs impérialistes qui ont gouverné le pays de 1868 à ce jour, le mikado avait solennellement promis, par un décret impérial d’octobre 1881, que l’empire serait doté d’un parlement en 1890. Les lois constitutionnelles furent promulguées en février 1889 : le peuple leur souhaita la bienvenue par trois jours de fête où la ville de Tokio, l’ancienne Yédo, donna le spectacle de féeriques réjouissances. Les élections sont fixées au mois de novembre prochain : un an auparavant, en novembre 1889, comme pour affermir la monarchie au moment où elle va affronter cette épreuve, on proclama solennellement héritier de la couronne le prince impérial Harounomya, fils adoptif de l’empereur. La constitution nouvelle ne repose pas, à proprement parler, sur le principe populaire, puisque, pour être électeur, il faut posséder environ 4,000 francs de revenu. Les partis politiques n’ont pas attendu, pour se former, que le parlement fût ouvert ; il s’en est constitué trois : le parti