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sont élevées innombrables, comme au sein du parlement. Les sociétés d’agriculture des provinces orientales, si éminemment conservatrices, se sont, la plupart, prononcées contre l’institution proposée, à cause du trouble qu’elle menace d’introduire dans les conditions sociales des populations. Pour les grands propriétaires fonciers de cette région, l’application de la loi nouvelle, loin d’améliorer les relations entre ouvriers et patrons, deviendra au contraire une source de mécontentement et de conflits. De même les réunions d’ouvriers, qui ont discuté le programme officiel, lui contestent le caractère d’une réforme sociale digne de ce nom. Montrer dans cette loi le couronnement de la réforme sociale, répètent sur tous les tons leurs orateurs, c’est avouer l’impuissance de la société actuelle pour des réformes sérieuses. Toute la législation protectrice des ouvriers n’est qu’un leurre : Die ganze Arbeiterschutz geset zgebung ist Schwindel. Aussi bien les mesures comme l’assurance pour les rentes d’invalidité favorisent l’agitation socialiste au sein des masses au lieu de l’enrayer. Démocrates et conservateurs se rencontrent dans une attaque commune, quoique fondée sur des motifs divers et souvent contraires. Mais ce sont les agitateurs socialistes qui retirent de l’entreprise les avantages positifs. Avec une audace inouïe, ils déclarent que la seule présentation du projet de loi constitue pour eux un triomphe, quand même ils sont obligés de le rejeter comme inacceptable sous sa forme actuelle. Plus tard, ils sauront bien procurer des rentes convenables aux travailleurs invalides au moyen d’un impôt approprié sur le revenu des classes fortunées. D’ici-là, le rôle des députés socialistes est de rendre les ouvriers attentifs aux dispositions de la législation hostiles aux prolétaires. Quand le gouvernement de l’empire refuse de donner suite aux votes réitérés du Reichstag pour l’interdiction du travail du dimanche et de l’emploi des enfans dans les fabriques, quand les gouvernemens confédérés refusent de consentir à la fixation d’une journée de travail normale, on jette de la poudre aux yeux du peuple lorsqu’on prétend vouloir améliorer son sort !

Sans la démocratie socialiste, affirmait un jour le prince de Bismarck, il n’y aurait pas de réforme sociale en Allemagne. Les députés mandataires du parti, en rappelant ces paroles à la tribune du parlement, proclament haut et net que leur attitude amènera le gouvernement au pouvoir à leur faire de plus larges concessions. M. Bebel assure remplir une mission civilisatrice en excitant le mécontentement au sein des masses. Point de mobile plus efficace du progrès dans l’humanité. Le mécontentement n’est-il pas la source de tout progrès humain ? Sans lui l’humanité ne serait