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masquer sa retraite en allant battre l’armée de Sapor. Seulement, pour battre Sapor, il fallait que Sapor acceptât la bataille, et ce n’était la coutume ni des Parthes, ni des Perses. La flottille de Julien, une fois sa résolution prise, lui devenait inutile. Les flottilles descendent les fleuves, elles ne les remontent pas, — ou du moins elles ne les remontaient pas quand elles n’avaient pour moteur que des rames.

Ordre est donné de brûler la flottille. On ne conservera que douze petits navires qu’on traînera sur des chariots, pour servir au besoin d’équipage de pont. Onze cents bateaux sont d’un seul coup livrés aux flammes, et l’armée se met en marche. Où va-t-elle ? Elle va où la conduit un transfuge, où on lui promet de la mettre en face de Sapor. C’est le pays, maintenant, qui se défend par lui-même : les digues ont été rompues, les moissons incendiées. Si l’on traverse un village, le village est désert. Le vide s’est fait partout. Seuls quelques escadrons ennemis se montrent au loin. On les distingue à l’éclat de leurs armures. Ils observent l’armée romaine et ne se laissent pas approcher. La poursuite serait vaine ; les souffrances, dans ces plaines embrasées, deviennent intolérables. Les légions murmurent. Julien se décide à incliner sa route vers le nord. Dès que le mouvement de retraite est franchement prononcé, les Perses cessent de se tenir à l’écart.

Chaque nuit est marquée par quelque alerte. Des traînards sont enlevés ; l’arrière-garde se voit obligée de prendre à tout instant les armes. Cinq jours s’écoulent ainsi. L’armée, cependant, gagne du terrain et l’ennemi est toujours tenu en respect. On s’est rapproché sensiblement du Tigre. L’infanterie légère, dans ces circonstances critiques, fait merveille. Ce n’est plus avec des escadrons volans que les Perses osent dès ce moment inquiéter la retraite. Ils mettent en ligne leur grosse cavalerie cuirassée, leurs éléphans, dont l’odeur affole les chevaux des Romains. Ils se portent en masse de la tête à la queue de l’armée, qui se serre pour leur opposer une résistance plus compacte. Julien est partout, tantôt à l’avant-garde, tantôt au centre, tantôt à l’arrière-garde. Idole du soldat, il lui donne l’exemple et veut partager ses privations. Les vivres commencent à devenir rares. Qu’on distribue les provisions des officiers ! L’empereur, le premier, se contentera d’une écuelle de bouillie. Ce qu’il y a de plus pénible, par ces chaleurs affreuses, c’est de supporter le poids de la cuirasse. Et pourtant la grêle de traits que font pleuvoir les Perses rendrait cette précaution bien utile ! Au premier moment de relâche, chacun s’empresse de se défaire de la lourde armure. Les Perses ont été rejetés au loin. L’armée se promet un peu de repos.