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l’ennemi dans l’incertitude de ses projets. Il se porte à Batné dans l’Osrhoène. Batné est un admirable lieu de campement. « Voilà, écrit Julien, un séjour incomparable. Je préférerais Batné à l’Ossa, au Pélion, à l’Olympe, aux plus renommées vallées de la Thessalie, à Delphes même. Le pays est fertile et boisé, parsemé de bouquets de cyprès en fleur. » Cette description ne nous apprend pas où était située Batné. Je ne crois pas me tromper beaucoup en plaçant le lieu de ce campement un peu au-dessous de Samsat, peut-être à l’endroit même où l’on rencontrerait aujourd’hui le village turc de Jallak. Julien y reste en communication avec sa flottille.

Pendant ce temps, Procope, parent et lieutenant de Julien, a été jeté sur la gauche avec 18,000 hommes pour surveiller la fidélité du roi d’Arménie et prévenir toute incursion des Perses vers la province romaine. De Batné Julien fait mine un instant de vouloir se rapprocher du Tigre. Il se porte sur Edesse et d’Edesse gagne Carrhes. Jusqu’à présent il est impossible que l’ennemi ait pénétré ses desseins. Le moment cependant est venu où il va falloir prendre un parti. Julien adopte le plus sage. Il se tourne brusquement vers le sud et suivant la route qui a sauvé jadis les débris de l’armée de Crassus, côtoie les bords de la Bilecha, pour atteindre l’Euphrate au point où la rivière va se confondre avec le grand fleuve. Là commence en réalité la campagne. La prévoyance de Julien en garantit d’avance le succès. La flottille avec laquelle il a repris désormais le contact compte 600 bateaux de rivière, 500 keleks[1], 50 galères et un équipage de pont. L’armée se trouve, grâce à cet auxiliaire, dégagée de l’embarras encombrant des bagages. Ce sera la flottille qui portera les vivres, les machines de guerre et les munitions. On pourra marcher vite et légèrement.

Le Khaboras, un des plus gros affluens de l’Euphrate, formait encore la limite de l’empire. L’armée le franchit sur le pont de bateaux qui la suivait et qui fut promptement assemblé. Elle se trouvait dès lors en pays ennemi. Son flanc droit était couvert par le fleuve, sa subsistance assurée par la flottille. Il ne lui restait qu’à protéger à l’aide de sa nombreuse cavalerie son flanc gauche et à faire tomber sur sa route quelques places fortes. Julien marcherait ensuite, déployé en bataille, sur Ctésiphon ; 1,500 hommes de troupes légères éclairaient sa marche ; une forte arrière-garde protégeait ses derrières.

La première résistance se produisit dès le quatrième jour. La garnison d’Amatho, château-fort bâti sur une île de l’Euphrate, répondit par un arrogant refus aux sommations qui lui furent

  1. Le kelek est un radeau soutenu par des outres.