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au milieu du torrent. Ce n’est certes pas un motif pour refuser justice à ses grandes qualités : c’en est un à coup sûr pour déplorer qu’il n’en ait pas pu faire un meilleur emploi. Vouloir rendre le monde au paganisme en l’année 361, n’était-ce pas, en effet, une démence bien autrement inexplicable que celle de Dioclétien, une démence plus douce, je l’accorde, mais dont les résultats pouvaient être encore plus funestes. Et tout cela mêlé d’une dévotion confuse, d’une dévotion remplie de mystère à laquelle il était physiquement impossible d’associer un grand peuple, un peuple dur, correct, qui n’avait jamais respecté la Divinité que comme l’expression de la loi et qu’il ne fallait pas s’aviser de vouloir nourrir de magie. Le ciel se montrera clément en procurant à Julien la mort d’un soldat. Vaillant soldat, il le fut jusqu’au bout et je crois pouvoir ajouter habile capitaine.

Suivons-le dès ses premiers pas. Suivons-le avec soin : nous reconnaîtrons qu’il laisse peu de prise à la Fortune. L’hiver s’était passé à Antioche, mais en préparatifs sérieux. Au mois de mars 362, Julien pouvait disposer de 83,000 hommes. En cinq jours, il atteignit Hieropolis. — J’écris Hieropolis pour distinguer cette ville de l’Hierapolis de Phrygie. — Le nom moderne d’Hieropolis serait, au dire des savans commentateurs de la table de Peutinger, Kara-Bambuche ou Buyuk Mumbedj. Fondée par Séleucus Nicator, elle devint sous les Séleucides un des grands entrepôts du commerce de l’Orient. Constantin en fit la capitale de la nouvelle province de l’Euphrate. Les géographes l’ont placée à cinq journées d’Antioche, à deux et demie de Béroé. Est-ce sur le pont de bateaux auquel aboutissait la route directe d’Hieropolis à l’Euphrate que Julien a passé ce fleuve ? N’est-il pas, au contraire, allé chercher 36 milles environ plus au nord le zeugma d’Apamée, en d’autres termes le passage que commande aujourd’hui sur la rive orientale le château de Biredjick ? La chose peut intéresser les érudits ; elle ne saurait avoir qu’une médiocre importance aux yeux des écrivains militaires. Le plan de campagne de Julien ne se dessinera que le jour où il aura traversé l’Euphrate.

Placée sous les ordres de Lucien et de Constance, la flottille que Julien a fait construire au pied des districts montagneux dont Napoléon songera un jour à exploiter les ressources forestières, la flottille, disons-nous, s’est rassemblée à Samosate. — Cherchez Samsat sur la carte moderne. — Le gros de l’armée composée de 65,000 hommes, infanterie et cavalerie, ne prononce pas encore d’une façon bien nette son mouvement. Julien va-t-il conduire cette masse imposante jusqu’aux rives du Tigre ? Suivra-t-il les traces d’Alexandre ou celles de Trajan ? L’essentiel pour lui, c’est de tenir