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les racheter, il lui fallut céder les provinces situées à l’ouest du Khaboras, le Khabour actuel.

La guerre de frontière dès lors s’éternisa. Sous l’empereur Constance, en l’année 250, la ville de Nisibe, investie par Sapor, soutint un siège de quatre mois et ne fut sauvée que par une diversion inattendue faite par les Massagètes.

L’année 359 fut marquée par une invasion qui dépassa de beaucoup les limites où s’étaient jusqu’alors arrêtés les Perses. C’est à sa source que Sapor, prêt à se jeter dans les montagnes de l’Arménie, voulait cette fois aller traverser l’Euphrate. Le siège d’Amida le retint, malheureusement pour lui, près de deux mois et demi sous les murs de cette ville. Il dut se replier et ajourner ses projets à l’année suivante. En l’année 360 il reparaît en Mésopotamie. La Mésopotamie était tellement dévastée qu’aucune armée n’y pouvait séjourner sans faire venir ses vivres du dehors. Voilà ce qui donnait tant d’importance à la possession du cours de l’Euphrate, tant d’importance aussi aux places fortes qui, comme Singara, Nisibe, Tigranocerta, défendaient les approches du Tigre.

Les progrès de Sapor maître de Singara devenaient menaçans. Constance se fût sans aucun doute porté à sa rencontre, si l’armée des Gaules n’eût, en ce moment même, proclamé son neveu Julien empereur : Julien devenait dès lors pour le fils de Constantin bien autrement dangereux que Sapor. Constance tourna le dos aux Perses et se mit en route pour Byzance, impatient de faire rentrer les rebelles dans le devoir. Il mourut en chemin, comme était mort Trajan, dans une ville de la Cilicie. Ce fut donc à Julien qu’échut, pour début de règne, la tâche difficile de réprimer les dévastations de l’ennemi du sud et de rendre la sécurité à l’Asie romaine.


III

Je n’ai pas l’intention de descendre dans l’arène où se sont mesurés les chrétiens et les philosophes. Je veux laisser en paix la mémoire du grand apostat. Un siècle plus tôt on se fût accordé à ne voir en lui qu’un nouveau Marc-Aurèle ; moi j’y cherche surtout un nouvel Alexandre. Julien est, en effet, un Alexandre, par la vaillance, par la générosité, par le culte des lettres, par les penchans affectueux ; c’est malheureusement un Alexandre moins la grâce, et de plus un Alexandre dépaysé au milieu de son siècle. Ah ! qu’il est dur de n’être pas de son temps ! Bien des illustrations n’ont guère d’autre raison d’être que d’avoir su venir au monde à propos. Julien est né à contre-saison. On dirait un acrolithe tombé