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d’être retenue que celle du Cid ou d’Hernani. Ce jour-là vit surgir, en effet, plus qu’un chef-d’œuvre comique, plus que le brillant tableau de toute une société : la comédie elle-même entrait dans une nouvelle voie.

Au premier abord, on pourrait s’y tromper. Ce qui frappe avant tout, ce sont les réminiscences de l’ancien théâtre, dont la nouvelle pièce est remplie. Les contemporains y signalaient l’intrigue d’un opéra-comique de Sedaine : On ne s’avise jamais de tout. Ils auraient pu remonter plus haut et retrouver dans Molière, avec les personnages de la nouvelle pièce, la vieille histoire qui en fait le sujet. L’École des Femmes surtout était mise à contribution. Horace n’a fait qu’échanger son brillant habit de cour contre le costume noir du bachelier Lindor ; Bartholo, c’est Arnolphe sous le manteau de médecin espagnol ; Agnès porte la mantille et s’appelle Rosine. Mais, avec la tendresse de l’amoureux, nous retrouvons l’égoïsme, la suffisance, l’humeur rogue du tuteur, et, si la rouerie inconsciente de l’ingénue s’est bien aiguisée, c’est le même charme de jeunesse, le même élan vers l’amour. Quant au barbier qui mène l’intrigue, il est partout dans Molière : Mascarille l’a devancé, surtout Hali, du Sicilien, cette délicieuse petite pièce, où l’on pourrait signaler encore deux des plus amusantes idées scéniques du Barbier de Séville : la conversation du premier acte sous le balcon et celle du troisième entre les deux amoureux au nez du tuteur distrait ; et ici un peu du Malade imaginaire, la leçon de chant, vient compléter le Sicilien. Avec Agathe des Folies amoureuses, Regnard a fourni plusieurs traits de Rosine ; Marivaux, avec Trivelin, de la Fausse suivante, quelques-unes des meilleures répliques de Figaro. Les souvenirs de Le Sage, — qui, chose, amusante, a mieux peint l’Espagne sans l’avoir vue, que Beaumarchais, qui l’avait habitée, — sont partout dans le caractère de Figaro. Enfin, il n’est pas jusqu’à Boursault qui, dans son Mercure galant, n’ait offert l’excellent modèle de La Rissole au comte Almaviva déguisé en soldat.

Ressemblances de l’orme ; au fond, tout est changé, surtout dans les deux caractères principaux, le valet et le maître. Le valet de Molière prenait son temps et son sort comme ils étaient ; dans ses heures de raisonnement, il n’exprimait ni rancunes, ni espérances subversives. Il avait conscience de sa supériorité, mais il n’insinuait pas qu’un renversement des conditions serait souhaitable et conforme à la justice. On le battait souvent, on l’envoyait aux galères dans l’occasion, on le pendait quelquefois ; mais il admettait tout le premier que le bâton, la rame et la potence étaient faits pour les Mascarilles, qu’il y avait entre ces choses et lui un rapport nécessaire, fondé sur le droit et la tradition. En revanche, il lui