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perfide à son voyage d’Espagne lui fournit le prétexte de le raconter lui-même, et d’en faire non. plus une comédie, mais un drame, où parlent et agissent avec l’éloquence de la passion sa sœur Marie-Louise et lui-même, protecteur de l’innocence abusée, vaillant dans la lutte, généreux dans la victoire. Terminer de la sorte était une suprême habileté, car l’arrêt allait être rendu et l’homme qui avait joué un si beau rôle ne pouvait plus, décidément, être traité comme un plut fripon, et un simple intrigant par ceux, qui avaient le plus d’intérêt, à le présenter comme tel.


III

L’effet de cette éloquence ne fut pas seulement littéraire. Si, en parlant au seuil du prétoire la langue de Voltaire échauffée par la flamme de Rousseau, les Mémoires contribuèrent à en chasser l’emphase et le pathos, ils eurent de plus graves conséquences, présentes ou lointaines, funestes ou heureuses. Ils achevèrent de discréditer le parlement Maupeou, mais ils ruinèrent le respect de la justice, déjà bien ébranlé. Les anciens magistrats avaient applaudi aux coups dirigés contre des intrus, sans prévoir qu’eux-mêmes, le jour où ils remonteraient sur leurs sièges, en trouveraient la dignité avilie. Ils voudront reprendre et continuer leurs rôles au point où la révolution de 1771 les avait obligés à quitter la scène, c’est-à-dire revendiquer contre un pouvoir absolu des attributions dont l’exercice était un non-sens, puisqu’ils les tenaient de ce pouvoir même ; ils espéreront entendre encore les acclamations populaires qui les accompagnaient jadis aux lits de justice. Mais l’opinion ne verra plus en eux que les arbitres des plaideurs, et de mauvais arbitres. Parmi ceux qui demanderont bientôt la destruction des anciens parlemens, combien avaient désappris, en lisant Beaumarchais, le respect de la magistrature ! En revanche, après ces retentissans débats, la lumière portée à fond dans l’antre de la chicane avait éclairé les vices de la procédure et montré la nécessité des garanties dont les codes de la révolution s’efforceront d’entourer l’accusé, le plaideur et le magistrat. Comme l’a dit justement Saint-Marc Girardin, ces « modèles de plaisanterie et d’éloquence » contiennent à chaque instant « le germe de quelques-uns des grands principes de justice ou d’humanité, qui depuis ont passé dans les lois. »

Pour l’auteur, l’admiration fut unanime, et le triomphe éclatant. Qu’importait le blâme infligé ! Perdu devant le parlement, le procès était gagné devant L’opinion. Elle avait un moment abandonné Beaumarchais, elle lui revint avec une fureur d’enthousiasme ; elle