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tenue par hauteur du Père de famille. Et, comme il ne peut se dispenser de mêler à toutes ses œuvres un peu de son histoire, Eugénie met en action les souvenirs amplifiés et embellis d’une délicate allaire de famille qu’il était allé poursuivre jusqu’en Espagne ; les Deux Amis sont empruntés à son expérience des affaires d’argent. La première des deux pièces réussit à moitié, la seconde échoue, mais toutes deux font retentir le nom de l’auteur. Ainsi le but est en partie atteint, la voie préparée, et tout ce qui sortira de la même plume soulèvera désormais une grande attention.

Cet ami de la gloire bruyante va, du reste, être servi à souhait, beaucoup mieux même qu’il ne l’eût désiré ; et il n’aura pas trop de tout son courage et de tous ses talens pour ne pas succomber dans la terrible aventure qu’une misérable chicane d’héritier lui prépare. Les calomnies, les dénonciations pleuvent sur lui ; et, tandis qu’il se défend en désespéré, une querelle avec un grand seigneur, le duc de Chaumes, le fait jeter en prison, au mépris de toute justice, car le duc a tous les torts. Libre enfin, il se voit déshonoré et ruiné par les intrigues de M. de La Blache, autre grand seigneur, et les conclusions de Goezman, magistrat inaccessible aux plaideurs pauvres ou médiocrement généreux. Triste complément de son expérience de Versailles : du même coup, il n’a plus rien à apprendre sur la noblesse et il fait connaissance avec la justice des parlemens. Tout autre fût resté écrasé : il se redresse et entame une halte sans merci avec ceux qui veulent le perdre. Seul, il tient tête à un corps dont la redoutable organisation et les habitudes barbares ont de quoi faire trembler. Sans autre ressource que la plume, privé du prestige de l’éloquence parlée, il oblige la raison d’état à céder devant son droit. On s’efforce à le déshonorer ; il répond en démasquant ses adversaires, les frappe au visage et les montre ridicules ou odieux. Le courage n’aurait pas suffi dans cette lutte effrayante, il y fallait de l’héroïsme : à l’héroïsme il ajoute le génie, et, par ses Mémoires, se révèle grand écrivain.


II.

Pour trouver à ces Mémoires un terme de comparaison, on s’adresse d’habitude aux Provinciales et l’on va jusqu’à les leur égaler. C’est leur faire un excès d’honneur, car il y a des rangs même parmi les chefs-d’œuvre. Malgré des ressemblances sur lesquelles je reviendrai, les deux livres ne diffèrent pas moins que les deux auteurs : Pascal, âme ardente et droite ; Beaumarchais, tête fumeuse et compliquée. Tous deux furent spirituels et habiles, mais l’esprit de l’un n’était que l’ironie d’une raison supérieure, son habileté