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si aimablement donné à un projet qui pouvait déplaire, une véritable reconnaissance, et il en fit à Chambrier les plus chaleureux remercîmens. — « Soyez persuadé, lui dit-il, que le roi dans cette affaire a été principalement occupé des intérêts de Sa-Majesté prussienne. Vous voudrez bien en croire un témoignage que vous savez n’être pas trompeur et venir d’une part très affectionnée à vos intérêts. » — Puis il fit venir le comte de Loos et lui donna lecture des termes bienveillans dont le roi de Prusse s’était servi en parlant de la cour de Dresde. Après une telle preuve de bonne volonté, ajoutait-il, le roi de Pologne ne devait pas hésiter à se rapprocher de son voisin et à le garantir contre toute attaque, principalement contre celle des Russes, qui était toujours la plus à craindre[1].

Le roi, de son côté, faisait bien parvenir au roi de Pologne des conseils analogues par l’intermédiaire de Maurice de Saxe, mais dans des termes beaucoup moins vifs et qui ne montraient pas qu’il prît un égal intérêt à les voir suivre. — « Je ne sais, écrivait Maurice à son frère, ce que le marquis d’Argenson qui est une bête dira au comte de Loos, mais je crois bien, sire, de vous faire passer en droiture ce qui vient de la personne du roi et de mon amie (Mme de Pompadour). Le roi très chrétien désire que Votre Majesté le favorise pour que l’empire ne se déclare point contre lui, que vous contribuiez, sire, à la paix et que vous vous liiez avec la Prusse au moins en apparence. Ce sont ses termes. Toutes ces choses sont momentanées[2]. »

Si cette lettre eût passé sous les yeux de d’Argenson ou s’il en eût seulement soupçonné l’existence, il ne se serait point écrié, comme il le fait dans ses mémoires : « Qui aurait cru que les mesures d’une cabale de cour étaient si bien prises que je devais avoir mon congé juste le jour où le mariage se célébrait à Dresde ? » Il aurait compris que ce mariage, dont il était fier comme de son œuvre et dont il n’avait été que l’intermédiaire officiel, devenait, au contraire, le gage d’une coalition formée à son insu entre Dresde et Versailles pour le perdre et dont le roi lui-même, s’il ne suivait pas encore tous les conseils, écoutait déjà les confidences.


Duc DE BROGLIE.

  1. Chambrier à Frédéric, 28 octobre 1746. — (Ministère des affaires étrangères.) — Le comte de Loos au comte de Brühl, 24 octobre 1746. (Archives de Dresde.)
  2. Maurice de Saxe à Auguste III, 27 octobre 1746. (Vitzthum, p. 63.) — On voit que les courtisans appelaient volontiers le marquis d’Argenson, d’Argenson la bête, pour le distinguer de son frère plus aimable et moins sauvage. Ce n’est assurément que dans ce sens, que Maurice pouvait se servir de cette épithète. Dans toute autre acception, elle aurait paru, même aux yeux des moins clairvoyans, absolument déplacée.