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tiendrait pour dit, et que, revenu à Maestricht en longeant la rive droite de la Meuse, par un chemin où, disait plaisamment Maurice, « il avait rencontré plus de pierres que de pain, » il y reprendrait paisiblement ses quartiers d’hiver. Au dernier moment, cependant, craignit-il le ridicule dont il serait couvert devant ses alliés, devant Cumberland, qui était sous ses ordres, et Waldeck, qu’il avait privé du commandement, par ce retour au point de départ, après des allées et venues stériles pendant lesquelles il n’avait pas regardé une seule fois l’ennemi en face ? Ce qu’il y a de certain, c’est que, à la surprise générale, il se décida, à la dernière heure, à franchir une seconde fois la Meuse. A la vérité, il choisit un point un peu au-dessous de Maestricht, où il était à peu près sûr qu’on ne lui disputerait pas le passage. Après cette opération, faite sans peine aussi bien que sans gloire, il revint se camper vis-à-vis de l’armée française, entre Tongres et Liège. Son intention ne paraissait point être, cette fois encore, d’en venir aux mains, et il ne fit aucun mouvement qui annonçât une attaque. Il prenait seulement une position qu’il jugeait avantageuse pour la reprise des hostilités l’année suivante, et, en interdisant aux Français l’entrée de l’évêché de Liège, il se réservait pour lui-même les ressources de subsistance qu’on pouvait tirer de cette contrée.

Maurice voyant, après quelques jours, qu’aucune agression ne se produisait, hésitait fort à en prendre lui-même l’initiative. Il ne trouvait pas un intérêt suffisant à engager un combat qui coûterait beaucoup de sang, quand la victoire elle-même n’avait pas de lendemain possible. En examinant, cependant, la situation qu’avait prise le prince de Lorraine, il la trouva si étrangement choisie, que son impression changea. Le prince, en effet, s’était établi dans l’angle fermé, entre la Meuse et un cours d’eau qui s’y jette, appelé le Jaer, sur une ligne très étendue, coupée par des ravins dont les uns tendaient au fleuve et les autres vers son affluent, et qui ne permettaient aux deux ailes de son armée de communiquer que par une très étroite chaussée. Une attaque hardie pouvait, en séparant ces ailes sans qu’elles pussent se rejoindre, les écraser toutes deux, après avoir jeté dans la Meuse celle qui était adossée au fleuve.

Sa résolution fut prise alors. Il rappela à lui le comte de Clermont et les troupes qui avaient fait le siège de Namur et fit passer le Jaer à toute son armée ainsi réunie. Il n’expliquait à personne, pas même à son chef d’état-major, le but de cette disposition, qui donna de suite lieu à beaucoup de commentaires[1]. Le 10 au

  1. On voit, par la correspondance du chevalier de Belle-Isle avec son frère que, jusqu’au dernier moment, on doutait dans l’armée que Maurice se décidât à la bataille. Le chevalier lui reproche le 9 de ne pas profiter de la faute du prince Charles qui s’est mis dans une pépinière de ravins.