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les Anglais à y entrer de bonne foi… Je ne finirais pas, mon très cher maréchal, si je vous disais toutes les raisons que j’ai pour appuyer ce sentiment… Je terminerai par les deux articles qui me touchent le plus : d’abord, le roi le désire ; .. le second est que je crois de votre intérêt et de votre gloire personnelle de mettre tout en usage pour y parvenir. Vous connaissez le peuple ; il est ingrat et compte pour peu tout ce qu’on a fait, s’il reste encore quelque chose à faire… Enfin, je veux et entends que vous soyez reçu aux acclamations publiques et qu’en vous voyant le parterre vous regarde toujours avec les mêmes yeux, pourvu qu’il ne vous en coûte pas tous les ans d’aussi beaux pendans d’oreilles que ceux de l’année dernière. Pardonnez-moi, mon très cher maréchal, toutes mes réflexions et représentations ; l’attachement tendre et sincère que j’ai pour vous me les a dictées. »

Maurice répond, courrier par courrier : — « Je vous prendrai le château de Namur, mon maître, ne vous fâchez pas : aux façons que le roi a avec moi, je prendrais le diable par les cornes ! Si j’ai fait quelques réflexions modérées, ce n’a été que parce que je crois que ce château se prendrait tout seul, ayant très pauvre opinion de leurs subsistances. Mais il n’est plus question de tout cela : le roi le désire, et tout doit céder à la puissance d’un si grand et si bon monarque. Je vous envoie copie de la lettre que j’écris à M. le comte d’Argenson… Le bien de la chose m’est toujours préférable aux applaudissemens, quoique je ne les dédaigne pas ; et quant aux boucles d’oreilles, j’aime encore à en donner, sans toutefois en prétendre de rétribution : il faut vous dire cela pour vous tranquilliser, et je suis lâché que ce soit la vérité[1]. »

Voici maintenant, deux jours seulement après, un conseil d’un tout autre genre, cette fois demandé par Maurice avant d’être donné par son ami. Une place étant devenue vacante à l’Académie française, on insistait pour la lui faire accepter. L’offre était singulière, moins cependant qu’elle ne le paraîtrait de nos jours. L’Académie française, on le sait, n’était pas alors (dans l’opinion généralement admise pas plus que dans la pensée première de son fondateur) une réunion destinée exclusivement aux gens de lettres. Déjà mis suffisamment en rapports par la communauté de leurs travaux, les lettrés n’auraient pas eu besoin pour se rapprocher de cette attache officielle. Le but de l’institution, au contraire, était d’ouvrir au mérite littéraire l’entrée d’une haute société dont les différences de rang et de naissance, alors admises, pouvaient le tenir éloigné ;

  1. Noailles à Maurice, 13 septembre, Maurice à Noailles, 16 septembre 1746. — (Ministère de la guerre et papiers de Mouchy.)