Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/537

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se proposer de tout entraver et de traîner tout en longueur, afin de lasser la résistance du roi et de revenir à la charge à un moment propice. A la tête de ce groupe actif et insistant était toujours le maréchal de Noailles, en relations constantes avec les personnages influens de Madrid et inséparable, à Versailles, de l’ambassadeur. Rien n’était fait tant qu’il n’avait pas déposé les armes.

On sait quelle était l’intimité de Noailles et de Maurice, dont ils avaient donné l’un et l’autre une preuve touchante sur le champ de bataille de Fontenoy : c’était une amitié toute fraternelle de la part du plus âgé, une déférence presque filiale de la part du plus jeune des deux maréchaux. Maurice se piquait de ne pas oublier qu’il avait dû à l’intervention de Noailles son élévation à la première dignité de l’armée française : il prétendait même tout devoir, jusqu’à ses connaissances militaires, aux exemples et aux leçons du dernier survivant des grandes guerres de Louis XIV. Noailles avait le bon goût de ne pas ajouter tout à fait foi à ces témoignages d’humilité ; mais au déclin de la vie on aime à se laisser caresser, et il acceptait sans peine une correspondance régulière établie sur ce pied de familiarité confiante. On ne trouve jamais cette correspondance plus active (car elle devient même presque quotidienne) que pendant ces jours, où Maurice suit évidemment une pensée qu’il ne se presse pas de découvrir. Il consulte son prétendu maître sur les choses les plus insignifiantes, cède au moindre de ses avis, et ce n’est qu’après l’avoir pour ainsi dire enjôlé qu’il frappe le dernier coup en faisant appel à ses sentimens.

Voici d’abord une consultation toute militaire. Maurice, en faisant le siège de Namur, avait annoncé la décision d’arrêter les opérations actives dès que le corps de la ville serait rendu, laissant la citadelle et sa garnison simplement bloquées jusqu’à l’entrée de l’hiver et comptant sur le défaut de subsistances pour amener, sans nouvelle effusion de sang, une soumission complète. Noailles craint que ce succès ne paraisse insuffisant, comme couronnement d’une longue campagne dont on accusait déjà la stérilité et l’inaction ; il s’en inquiète pour l’effet politique aussi bien que pour la réputation de son ami. — « La prise seule de la ville de Namur, lui écrit-il, après d’assez longs développemens, ne produira pas en Hollande le même effet que la réduction de la ville et du château. Cette entreprise une fois terminée, il n’y a plus de barrière entre nous et les Hollandais, et l’on peut ouvrir la campagne dans leur propre pays. C’est une considération très importante et qui doit porter le parti pacifique en Hollande, s’il n’est pas assez fort pour déterminer la république à faire la paix indépendamment de ses alliés, à l’obliger du moins de redoubler ses efforts pour engager