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sont de petites représentations de nationalités rivales ? À l’heure qu’il est, il y a une situation pour le moins délicate à Vienne et une crise ministérielle ouverte à Budapesth. L’empereur François-Joseph, malgré son autorité traditionnelle et toujours bienveillante, malgré l’expérience qu’il a pu acquérir dans sa tâche de souverain conciliateur, a peut-être quelque peine à se reconnaître.

Ce n’est point que les conditions soient les mêmes en Autriche et en Hongrie, que le ministère du comte Taaffe qui a le pouvoir à Vienne soit précisément menacé ; mais il est clair que le succès, qu’il se flattait d’avoir obtenu par le compromis négocié entre Tchèques et Allemands en Bohême, s’est rapidement épuisé, que le ministère se retrouve en face de difficultés renaissantes, peut-être aggravées par la désillusion. La paix, une paix de quelque durée, semble plus que jamais douteuse. D’abord les jeunes Tchèques, qui avaient contenu leur hostilité, n’ont pas tardé à laisser éclater leurs sentimens et à reprendre leur campagne de revendication. Ils refusent de se soumettre au compromis accepté par les vieux Tchèques, et avec leur ardeur de propagande, avec leur popularité, ils ont la chance de susciter ou d’entretenir une agitation redoutable. Ils mettent dans l’embarras les vieux Tchèques, qui, en se prêtant par un calcul politique à une transaction, ne veulent pas livrer les droits de leur pays. D’un autre côté, les Allemands eux-mêmes ne sont plus satisfaits et commencent à se montrer impatiens. Évidemment ils n’avaient vu dans le compromis que le premier gage d’une victoire plus complète pour le germanisme. Ils s’étaient probablement attendus à regagner plus vite leur vieille prépondérance dans les affaires de l’empire. Ils ont pris pour un changement de politique ce qui n’était qu’une suite du système de diplomatie conciliatrice que le comte Taaffe représente et pratique depuis dix ans. Ils se sont abusés, et ils semblent maintenant assez disposés à saisir la première occasion de reprendre leur opposition contre le gouvernement. De sorte qu’après un succès de quelques jours le ministère du comte Taaffe n’est pas plus avancé ; il se retrouve en présence des cléricaux qui se défient toujours des retours offensifs du germanisme et du centralisme, des Allemands, eux-mêmes déçus et irrités, des Tchèques, divisés et troublés, des fédéralistes, inquiets. C’est une œuvre à recommencer pour le comte Taaffe, le chef de cabinet qui a pourtant le mieux réussi à faire vivre ensemble toutes les nationalités de l’empire.

À Pesth, la crise a fini par éclater. Le ministre opiniâtre qui, depuis quinze ans, n’a cessé de diriger avec une sorte d’omnipotence les affaires hongroises, M. Koloman Tisza, cède devant l’orage et a été obligé de donner sa démission, sans entraîner, il est vrai, dans sa chute le cabinet dont il était le chef. Jusqu’ici, en effet, M. Tisza seul semble devoir se retirer. L’incident qui, au dernier moment, a décidé