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Guillaume II, alors prince de la couronne, placé entre la mort récente de l’empereur Guillaume Ier et l’agonie de l’empereur Frédéric III, parlant à ses fidèles Brandebourgeois, désignait le chancelier comme le porte-étendard, qu’il fallait toujours suivre. Aujourd’hui, c’est lui qui est le porte-étendard ; le chancelier est à demi effacé, et c’est là justement un autre côté de cette situation aussi singulière que nouvelle de l’Allemagne.

Quelle est au moment présent la situation réelle de M. de Bismarck ? Il n’est point douteux qu’il n’est plus dans le mouvement, qu’il a été du moins étranger aux dernières résolutions, aux derniers actes de son jeune empereur. Il a commencé par se dépouiller d’une partie de ses pouvoirs dans le gouvernement de la Prusse : puis on a laissé entendre qu’il pourrait même quitter la chancellerie de l’empire pour rentrer comme M. de Moltke dans la retraite. Ce ne sont encore que des bruits ; ils répondent évidemment à une situation, à des faits qui restent à éclaircir. Cette retraite de M. de Bismarck, en effet, devient désormais bien possible. Seulement, on ne peut s’y méprendre, ce serait le commencement ou l’occasion de difficultés assez sérieuses. Cette constitution de l’empire, de l’Allemagne nouvelle, telle qu’elle a existé jusqu’ici, elle a été faite en quelque sorte par le chancelier et pour le chancelier. Seul, il a pu suffire à concentrer tant de pouvoirs, à manier les ressorts d’une organisation si compliquée, à contenir des antagonismes momentanément déguisés et toujours survivans. M. de Bismarck a eu les avantages et les inconvéniens d’une toute-puissance qui s’est imposée par le succès et qui ne se transmet pas avec un titre. Où est aujourd’hui en Allemagne le personnage public qui serait désigné pour recueillir ce lourd héritage ? Et d’un autre côté, comment partager et morceler cet héritage ? Comment substituer à une organisation, concentrée surtout dans un homme un régime en apparence plus régulier, un ministère multiple et responsable de l’empire ? La transition sera au moins épineuse. Il y a ici tous les élémens d’une crise, qui peut devenir grave avec les nouveaux mouvemens d’opinion qui se déclarent, avec les résistances qui peuvent se manifester dans d’autres parties de l’Allemagne, où la suprématie prussienne, subie en silence tant que M. de Bismarck était là, n’est déjà supportée qu’avec impatience. C’est une expérience qui commence, qui peut donner de l’occupation au nouveau règne allemand et a certes un rare intérêt pour l’Europe.

La vie devient décidément laborieuse aujourd’hui dans tous les pays, pour tous les gouvernemens qui ont à compter avec l’opinion, avec des parlemens, avec toutes les difficultés d’une situation confuse. Qu’est-ce donc dans des états à la fois vieux et à demi renouvelés comme l’Autriche-Hongrie, où il y a, avec des traditions impériales toujours survivantes, deux ministères, deux parlemens, des délégations qui sont un autre parlement, sans parler des assemblées locales qui