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ministre de l’intérieur à une fête locale au Mans, et que là, il avait solennellement juré devant les habitans du Mans, qu’il n’y avait jamais eu un dissentiment dans le cabinet, que l’harmonie la plus parfaite régnait entre les ministres. Quelques jours étaient à peine écoulés, les déclarations du président du conseil étaient peut-être encore dans la mémoire des bons habitans du Mans, — et voilà ce qui arrivait : le secret de l’harmonie ministérielle était brusquement divulgué !

Au fond, c’est peut-être bien encore M. Constans qui a été l’habile homme en s’effaçant. Cet adroit et peu scrupuleux manieur d’élections, qui a su opérer sans bruit au milieu des vociférations universelles du dernier automne, a su aussi se retirer en gardant ses avantages et en se donnant par surcroît l’air d’un défenseur des droits de la hiérarchie dans la magistrature, M. Tirard est resté maître du terrain, — un maître plus embarrassé que victorieux, — qui, sans plus de réflexion, s’est hâté de donner la mesure de son jugement et de son esprit politique. S’il voulait rester au pouvoir, il n’avait pas un moment à perdre pour choisir un nouveau ministre de l’intérieur. Il est allé tout droit le chercher dans les rangs des radicaux, parmi les lieutenans ou les amis de M. Floquet qui n’a pu qu’être satisfait d’avoir à donner son avis. L’heureux élu, M. Bourgeois, qui compte parmi les jeunes de la chambre, n’est point d’ailleurs sans mérite. Il a déjà passé dans les affaires, dans les directions administratives, dans les préfectures, même un instant à la préfecture de police pendant les heures difficiles de la démission de M. Grévy et de l’élection de M. Carnot. Il a été aussi sous-secrétaire d’état dans le ministère Floquet. C’est visiblement un homme instruit, délié, hardi, qui n’a pas manqué de faire ses conditions et de ménager son entrée. On n’a pas tardé, en effet, à voir ce qui en était. Le jour où le ministère a été interrogé au Palais-Bourbon sur cette crise de la veille où M. Constans venait de disparaître, M. le président du conseil n’a su répondre que par des explications qui n’expliquaient rien, par des banalités. Le nouveau ministre de l’intérieur, pour sa part, s’est mis du premier coup à l’aise avec son chef en l’éclipsant et en prenant sa place. Il a déroulé sans plus de façon, non sans une certaine assurance et une certaine fluidité, son programme radical. Il a parlé de la concentration républicaine, de la majorité républicaine, des conquêtes républicaines, des lois scolaires, de la loi militaire, en homme habile à caresser l’esprit de parti. Dans le fond, il n’en fera peut-être ni plus ni moins que d’autres. Il a su flatter les passions et gagner les faveurs de M. Clemenceau sans perdre celles de M. Ribot.

Chose bien évidente ! M. le président du conseil avait été écouté avec froideur, même avec impatience, et, s’il eût été seul, le ministère courait vraisemblablement, dès ce jour-là, à un désastre. C’est M. Léon Bourgeois qui a eu le succès, qui a obtenu du moins un répit. Décidément M. Tirard n’a pas de chance, il ne peut pas réussir à être un