Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/468

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous les arts ; mais ce sont là vérités qu’on ne paraît pas soupçonner à l’Académie nationale de musique !

Pourtant, de cette décadence et de ce désarroi, de cet abaissement esthétique, la direction de l’Opéra, nous le disions plus haut, n’est pas seule responsable. Elle a des complices dans les personnes et dans les choses elles-mêmes. Complice, le monument de M. Garnier ; complices, le Conservatoire, le régime administratif, tel ou tel règlement relatif aux pensions de retraite ; vous, enfin, abonnés, et nous, public de l’Opéra, complices, complices de toutes ces erreurs, de toutes ces fautes, parmi lesquelles il en est de réparables, et d’autres, hélas ! sans remède.

L’Opéra, qui n’est peut-être pas le plus beau monument de Paris, en est, à coup sûr, le moins approprié à sa destination. Impossible de consacrer au plaisir des yeux et des oreilles un édifice où l’on voie moins bien et surtout où l’on entende plus mal. Il a coûté quelque chose comme cinquante millions ; chaque année, outre l’intérêt de cette bagatelle, il engloutit des centaines de mille francs sous ses voûtes de marbre, de mosaïque et d’or. Le budget du seul balayage doit être supérieur à celui de l’orchestre. Oh ! la somptueuse volière ! Quel dommage qu’elle soit si chère à nettoyer et que les oiseaux s’y égosillent, quand ils ne s’y brisent pas la voix ! N’eût-il pas été plus sage d’élever un simple théâtre de bois et de briques, sonore, élégant et confortable, ni trop grand, ni trop petit, où l’on eût joué, avec deux troupes différentes, le répertoire de l’Opéra et celui de l’Opéra-Comique ? Les choses se passent ainsi à Vienne, où l’on est peut-être aussi musicien qu’à Paris. Mais, comme dit lady Macbeth, ce qui est fait ne peut pas ne pas être fait, et nul ne songe à demander la démolition de la coûteuse et peu commode bâtisse.

Ailleurs, peut-être, il y aurait à démolir, ou, du moins, à réformer : au Conservatoire, où l’Opéra recrute son personnel. Que le Conservatoire de Paris, dirigé par un maître éminent, soit le premier, ou parmi les premiers de l’Europe, nous ne saurions personnellement y contredire, d’abord sans ingratitude, et aussi peut-être sans iniquité. Ceux-là manquent à la vérité et à la justice qui accusent le Conservatoire d’impuissance et de stérilité. Le Conservatoire fait des élèves, de bons élèves parfois, qu’on a le tort seulement de prendre trop tôt pour des artistes. Un lauréat du Conservatoire chante les premiers rôles comme un Saint-Cyrien d’hier commanderait un corps d’armée. Pour changer en héros d’opéra l’apprenti maçon ou cordonnier de Lille ou de Toulouse, il faut plus d’un an d’études vocales, ou autres. Le talent, bien plutôt que le génie, est une longue patience. Ce n’était pas trop, pour former des musiciens, de l’enfance passée dans les maîtrises. Ce ne serait pas trop de l’adolescence consacrée tout entière à l’éducation de la voix, à l’acquisition du style, au développement de l’intelligence et du cœur. Imposez l’internat aux élèves du Conservatoire ;