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Nous n’en demandons pas tant. Il suffirait que la mise en scène fût juste et intelligente, qu’elle aidât au lieu de nuire à l’effet de l’œuvre représentée. Raoul, par exemple, au premier acte des Huguenots, ne pourrait-il raconter sa rencontre avec une inconnue à des hôtes qui l’écouteraient, au lieu de la confier au souffleur, qu’il appelle : Bel ange, reine des amours ! et de tourner le dos à des choristes immobiles et indifférens. Et quelle lugubre dînette que cette Joyeuse orgie ! Elle n’a d’égale que le dernier souper de don Juan entre deux dames, dont j’ai vu jadis l’une manger avec ses doigts gantés de blanc.

Suivrons-nous les Huguenots de scène en scène ? Rappelons seulement, au second acte, l’arrivée de Raoul, les yeux bandés, au milieu de vieilles dames rangées en demi-cercle régulier et qui chantent sans un élan, que dis-je ? sans un mouvement, sans un geste, ce chœur pétillant de curiosité et de malice féminines. Dans les trois derniers actes, vainement le drame s’accentue et s’anime ; les traditions, paraît-il, imposent les mêmes erremens. Rataplan ! Rataplan ! chantent les soldats huguenots, debout, alignés sur deux rangs, et face au public, comme un orphéon le jour du concours. Faites-les donc s’asseoir devant le cabaret et trinquer gaiement à la santé de Coligny ! Que l’un d’eux, le premier venu, se lève et chante son refrain. De l’autre côté de la scène, que les femmes catholiques s’agenouillent, mais pas auprès de ce maudit souffleur, pour l’appeler encore Vierge Marie, comme Raoul, au premier acte, le traitait de Reine des amours. Ce n’est pas lui qu’elles doivent regarder, mais le cortège nuptial de Valentine et la chapelle, où se trouve l’image de cette Vierge qu’elles invoquent. Et le duel ? et l’intervention de Marcel, si pathétique dans la partition, si molle et si froide à la scène ! Et la mêlée générale, comprise au théâtre comme une leçon de solfège pour un double chœur qui ne saurait pas solfier ! La musique ne manque pourtant ni de vigueur, ni d’âpreté, ni de mouvement. Allez voir, à Bayreuth, le finale du second acte des Maîtres chanteurs, et vous apprendrez comment se meut la foule au théâtre, comment une mise en scène bien réglée peut donner l’illusion de tout un quartier en émoi.

Ne revenons pas sur le grand duo du quatrième acte, horrible pugilat où les notes et les gestes sont remplacés par des cris et des horions. Quant au cinquième acte, le décor en est plus que misérable, et les choristes le jouent aussi mal qu’ils le chantent. Quand on arrive pour assassiner les gens, on ne reste pas à les regarder tranquillement au travers d’une grille ; on force la grille et on se jette sur eux. Vraiment, on se demande comment Raoul, Valentine et Marcel peuvent s’élever à ce comble d’héroïque folie devant des meurtriers qui marchent vers eux à pas comptés, de l’air le plus affable du monde.

Voilà pour les Huguenots. Si nous étions de loisir, tout le répertoire y passerait. Un opéra devrait être plus qu’une œuvre d’art : l’œuvre de