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nature comme sur leurs faces effrontées et malpropres. D’abord on reculait devant elles ; mais cette répugnance devenait bientôt de la pitié… »

Il est certain que le pur anglais serait invraisemblable dans de pareilles bouches et, même au point de vue de l’art, les parties comiques auraient moins de sel, les fiers sentimens exprimés par l’héroïne du récit sembleraient moins naturels.

C’est une belle créature que « la fille à Lowrie » sous la couche de charbon qui recouvre ses traits réguliers ; d’une taille imposante, elle porte, autrement que ses compagnes, la veste d’homme ouverte au cou et le grand chapeau qui abrite chez elle des yeux magnifiques. Le nouvel ingénieur des mines, Fergus Derrick, passant avec son ami, le révérend Paul Grace, curé de la paroisse, ne peut s’empêcher d’en faire l’observation, et il apprend son histoire, l’histoire d’une malheureuse habituée dès l’enfance aux mauvais traitemens et aux privations, sans mère, battue par un père ivrogne d’une telle façon que l’on s’étonne qu’il ne l’ait pas tuée cent fois. Elle se distingue par une chasteté farouche ; l’homme qui l’aborderait comme se laissent aborder les autres filles de la mine aurait lieu de s’en repentir ; elle semble défier le monde ; on la craint et on la vénère. Le jeune pasteur lui-même s’est senti presque intimidé devant elle le jour où elle lui a répondu après avoir écouté ses exhortations d’un air impassible : — « Curé, si tu me laisses tranquille, je te laisserai tranquille aussi. » — Sur quoi elle lui a tourné le dos, sans rire ni l’insulter comme font volontiers les gens de Riggan.

Le pauvre Grace a là de tristes paroissiens ; il n’en viendrait jamais à bout, et son patron, le recteur, un ecclésiastique important, réussirait plus mal encore que lui-même, si la fille de ce dernier, miss Anice Barholm, n’entreprenait la conversion des mineurs à sa manière en se faisant leur amie, sans aucune attitude condescendante ni protectrice. Cette jolie fille de vingt ans cache dans sa petite personne l’énergie et la résolution d’une douzaine de femmes ordinaires ; aussitôt arrivée à Riggan, elle s’intéresse aux gamins, elle intervient dans leurs querelles, et, ayant trouvé Grace devant l’oracle du village, le vieux Sam Craddock, dont l’esprit sarcastique fait et défait les réputations, qui se moque des curés et conspue la société en général, elle se rend populaire peu à peu et réussit à faire beaucoup de bien. Une des personnes qui gagnent sa sympathie est Joan Lowrie, que lui a recommandée l’ingénieur Derrick. Ce jeune homme est venu au secours de la pauvre fille un jour que son père l’avait laissée presque assommée sur place, avec un trou béant au front, et quoique, selon son habitude, elle fasse preuve avec lui d’une orgueilleuse réserve, elle n’a plus de méfiance ; c’est à lui qu’elle s’adresse pour procurer de l’ouvrage à l’une de ses compagnes,