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Les démocraties souffrent des maux des monarchies, celles-ci expient les fautes des démocraties. Les destinées humaines semblent partout devenir plus incertaines ; il faut acquérir beaucoup pour conserver un peu ; et l’auri sacra fames n’est plus seulement l’incitant de l’homme amoureux du plaisir, du luxe ou du pouvoir, c’est aussi le stimulant du père de famille, inquiet de l’avenir de ses enfans.

En écrivant son ouvrage, si substantiel et si consciencieux, sur les États-Unis, le duc de Noailles a beaucoup pensé à la France, mais il s’est refusé le facile plaisir des comparaisons, et des allusions ironiques. Nous ne pouvons que l’en féliciter : son livre y a gagné en sérieux : les mots de république et de démocratie couvrent d’ailleurs, en France et aux États-Unis, des choses bien dissemblables. Si l’on ne regarde qu’aux institutions, tout diffère, le mode d’élection du président, sa prérogative, le caractère de son cabinet, ses rapports avec les chambres, la constitution et les attributions du Sénat, les limites du pouvoir législatif, les rapports du pouvoir judiciaire et du pouvoir législatif. Si l’on regarde à l’administration et à l’éducation publique, les dissemblances sont encore plus profondes ; car, d’un côté, l’on trouve l’administration la plus centralisée, pénétrant dans tous les détails de la vie provinciale et communale, distribuant l’instruction primaire et secondaire à tous les citoyens ; de l’autre, des états qui s’administrent eux-mêmes, qui ont leurs gouvernemens, leurs chambres, leurs lois propres, leurs communes libres, leurs universités indépendantes. Le gouvernement fédéral des États-Unis est véritablement un gouvernement sui generis, et ce serait une grossière erreur que de croire que toutes les démocraties copieront ce modèle. Elles ont déjà trouvé, elles trouveront encore d’autres formes du gouvernement démocratique, allant depuis la démagogie la plus révolutionnaire et la plus niveleuse jusqu’à la délégation de la souveraineté de tous à un seul.


AUGUSTE LAUGEL.