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pages, ses écuyers tranchans, les henchman; depuis ceux qui pérorent en tout lieu, les stump speakers (le stump est la souche de bois des défrichemens de l’ouest), jusqu’à ceux qui entraînent les grandes réunions dites caucus, les conventions, et qui rédigent les plat forma; depuis le journaliste de village jusqu’aux directeurs redoutés des grands journaux de New-York, de Boston, de Philadelphie, de Chicago. Il n’est que trop facile, et M. le duc de Noailles ne s’en fait pas faute, de faire la critique de cette organisation; mais, si le suffrage universel n’obéit pas à la voix d’un maître absolu, il faut bien qu’il choisisse entre des partis, des programmes, des candidats. Le peuple est comme une nébuleuse, qui se condense autour de quelques centres d’attraction; le gouvernement de parti semble indispensable dans une république libre, et un certain degré de corruption naît malheureusement du besoin de maintenir les partis, d’entretenir leur activité et leur ambition. Une propagande incessante, effrénée, ne saurait, en effet, rester toujours désintéressée : le danger grandit quand sont résolues les questions capables de remuer les âmes généreuses, comme la question de l’esclavage, et qu’on n’a plus à résoudre que des problèmes économiques qui touchent directement aux intérêts. C’est alors que la politique de couloir, ce qu’on nomme le lobbyism, devient presque toute la politique et que l’homme d’état fait place à l’homme d’affaires.

Pendant trois ou quatre générations, déjà, les Américains ont donné ce spectacle de deux grands partis traditionnels, qui se succèdent l’un à l’autre sans violence, et qui, sans être également conservateurs, sont pourtant tous deux conservateurs. « Presque partout, dit le duc de Noailles, le peuple se divise en sections horizontales. Les couches supérieures, c’est-à-dire les classes riches et élevées, composent le parti conservateur, tandis que la population pauvre et ignorante des couches profondes constitue le parti destructeur et subversif. L’Amérique, au contraire, est partagée verticalement en deux partis, dont chacun va du sommet au tréfonds de la nation et comprend toutes les classes ou catégories sociales. » Rien de plus vrai, et il en résulte que l’inspiration, dans l’un comme dans l’autre parti, vient d’en haut.

Le parti républicain, arrivé au pouvoir avec Lincoln, sut maintenir l’Union contre les efforts réunis du Sud et des démocrates du Nord; ce fut son âge héroïque, et il sembla qu’il n’eût qu’à recueillir tranquillement les fruits d’un triomphe glorieusement et chèrement acheté. Il n’y a plus beaucoup de survivans des contemporains et des auxiliaires de Lincoln, de Seward, de Sumner, de Farragut, de Grant : l’un d’eux me faisait récemment une