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vérité, se fait partout sentir; les négligences mêmes du style en témoignent[1]; le souci du fond l’emporte partout sur le souci de la forme.

Le grand labeur auquel s’est livré le duc de Noailles n’a pas été sans résultats; et, sur quelques points, son analyse des institutions américaines est plus vraie que celle de Tocqueville. Nous citerons particulièrement ce qui concerne le caractère et le rôle de la cour suprême des États-Unis. On croit encore assez généralement que cette cour suprême a pour mission d’interpréter la constitution, et que son interprétation a force de loi. C’est une erreur : la cour suprême n’interprète la constitution que comme elle interprète toutes les lois. A ses yeux, la constitution n’est que la loi constitutionnelle.

Tocqueville avait écrit, en parlant de la cour suprême : « Elle est chargée de l’interprétation des lois et de celle des traités... On peut même dire que ses attributions sont presque entièrement politiques, quoique sa constitution soit entièrement judiciaire. « Il avait été comme ébloui par la majesté de cette cour « lorsque l’huissier, s’avançant sur les degrés du tribunal, vient à prononcer ce peu de mots : « L’état de New-York contre celui de l’Ohio, » on sent qu’on n’est point là dans l’enceinte d’une cour de justice ordinaire. »

M. le duc de Noailles a vu ici plus juste, il montre comment l’acte législatif n’est jamais supprimé ni modifié par un arrêt de la cour suprême, bien que l’arrêt judiciaire subsiste pour les parties en cause. L’œuvre des constituans de Philadelphie, Washington, Hamilton, Morris, a été peu modifiée, et dans ses parties essentielles, reste la même aujourd’hui qu’elle était il y a cent ans. On a beaucoup écrit sur cette constitution, on s’est beaucoup moins occupé des constitutions particulières des états; le sujet, pourtant, en vaut la peine, et nous regrettons qu’il n’ait pas tenté M. le duc de Noailles. Les états sont libres de se donner telle constitution qu’il leur plaît; la constitution fédérale ne leur interdit que le gouvernement monarchique, l’esclavage (depuis l’année 1865 seulement) ; elle garantit aux citoyens le droit de suffrage, mais un état particulier reste parfaitement libre, par exemple, d’avoir deux chambres ou de se donner une chambre unique.

Il y a aujourd’hui 32 constitutions particulières d’états et dans chacune vous trouverez un sénat : le principe de la dualité

  1. Il y a aussi d’autres négligences : pourquoi, dans le cours de deux volumes, écrire toujours Windthrop pour Winthrop? mettre William Bagehot au lieu de Walter Bagehot ?