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aux États-Unis. Un vicomte de Noailles avait été au nombre des gentilshommes français qui prirent part à la guerre de l’Indépendance : comme la plupart de ses compagnons d’armes, le vicomte de Noailles s’était enthousiasmé pour l’Amérique, et, dans une de ses lettres à Alexandre Hamilton, il prédisait un magnifique avenir à un continent où les opprimés de l’univers entier viendraient chercher la liberté. Ces souvenirs ont-ils été pour quelque chose dans l’entreprise du duc de Noailles ? il se pourrait ; mais le titre même de son livre indique qu’il a surtout voulu chercher aux États-Unis une grande leçon pour l’Europe et particulièrement pour la France. Montrer les résultats de la plus grande expérience démocratique et républicaine qui ait encore été faite, tel a été son but : « Où, dit-il, pourrait-on discerner plus nettement les conditions et les conséquences du gouvernement populaire, ce qu’il promet, ce qu’il donne, ce qu’il coûte ? »

La pensée première a été une pensée critique : je vais donner, s’est dit l’auteur, à la démocratie le plus magnifique théâtre d’action, un continent entier, des richesses naturelles de toute sorte, point de voisins, la paix assurée, l’égalité, la liberté la plus complète, et, au bout de cent ans, je vous montrerai tous les vices de l’Europe et des vices inconnus à l’Europe, le paupérisme, la lutte du travail et du capital, des inégalités de fortune inouïes, l’immoralité dans la politique et dans l’administration, la corruption organisée et pour ainsi dire encadrée d’une manière permanente.

Pour remplir ce programme, il ne suffisait pas de faire une étude de droit constitutionnel, de repasser par les mêmes chemins que ceux qui ont analysé la constitution américaine ; à côté du texte, il fallait mettre le commentaire. M. le duc de Noailles s’y est appliqué ; il nous dit lui-même que u faire le prophète au sujet d’un grand pays que l’on n’a jamais ni habité ni visité serait une témérité sans excuse ; » mais, s’il ne l’a ni habité ni visité, son livre démontre qu’il n’a rien épargné pour connaître tous les ressorts de sa vie politique et pour pénétrer aussi profondément que possible dans le mécanisme des institutions. Tout ce qu’ont écrit les Américains, les Anglais, les Allemands sur ce sujet, il l’a lu ; il est resté, pour ainsi dire, en contact personnel avec les États-Unis par les revues et les journaux, apprenant jusqu’à l’argot politique des États-Unis, si expressif au reste et si pittoresque. Tout cet effort témoigne d’une grande sincérité, et l’on pourrait dire que l’auteur n’a pas plus fait son livre que son livre ne l’a fait ; car, du commencement à la fin, on y voit une sorte de transformation : le second volume est plus près de la vérité que le premier. Cette recherche constante, parfois un peu pénible, de la