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dramatique, et que dans Polyeucte, le grand Corneille a pu nous montrer, comme il s’exprime lui-même, « le combat de l’amour humain et de l’amour divin. »

Un des plus beaux chapitres de Chateaubriand est celui qui est consacré à la comparaison de la Bible et d’Homère. C’était pour la première fois qu’on faisait ressortir la beauté poétique et littéraire de la Bible : c’est là sans doute un point de vue profane que la sévère théologie devrait peut-être s’interdire ; mais si l’on se souvient que, depuis un demi-siècle, la frivole ironie de Voltaire avait livré la Bible au ridicule, en avait travesti toutes les figures et toutes les grandeurs, on ne peut que considérer comme un service rendu à l’âme humaine la restitution généreuse du sentiment biblique. On regrette de ne pas trouver plus de comparaisons de ce genre. Chateaubriand n’a pas épuisé, il s’en faut, tout ce que sa thèse aurait pu lui fournir, s’il avait voulu. Comment, par exemple, n’a-t-il pas comparé les Confessions de saint Augustin avec les Confessions de Rousseau, l’Imitation de Jésus-Christ et les Pensées de Marc-Aurèle, le Stabat ou le Dies iræ et les odes de Pindare, Athalie et Œdipe roi ? Cependant il ne faut pas trop lui demander ; des études plus complètes eussent transformé son livre en un cours de littérature, et ce n’était pas son objet. Il suffisait à l’auteur d’un livre sur le génie du christianisme d’indiquer par quelques exemples la pensée générale que l’on voulait imprimer aux âmes. Cette pensée a été développée et fécondée avec le temps ; et deux écrivains qui ne s’appellent guère l’un l’autre, Hegel et Victor Hugo, lui ont donné une singulière fortune, l’un dans son Esthétique, l’autre dans la Préface de Cromwell, en faisant du christianisme l’âme de la poésie moderne, de la poésie romantique.

La quatrième partie du Génie du christianisme, qui traite du culte, est la plus pleine et la plus solide ; et c’est en même temps la moins lue parce qu’elle est la dernière. Elle a trouvé grâce devant la critique de l’Académie, qui est obligée de reconnaître que cette partie est aussi neuve qu’intéressante, et qu’elle contient les faits les plus honorables pour le génie chrétien. On signala particulièrement le chapitre des missions comme un des plus agréables et des plus instructifs. On n’avait pas encore pensé à faire entrer dans la littérature les récits naïfs et poétiques des Lettres édifiantes. La peinture des fêtes chrétiennes, la Fête-Dieu, les Rogations, est d’un charme infini. L’analyse des grandes créations de la charité, hôpitaux, sœurs de charité, enfans-trouvés, des services rendus à l’agriculture, aux arts et aux métiers, aux lois civiles et criminelles, était un plaidoyer neuf alors, et qui a aujourd’hui