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d’entrevoir. » Cependant, la lettre de Mme de Farcy, sœur de Chateaubriand, et qui lui annonçait la mort de leur mère, ne paraît pas faire allusion à autre chose qu’à des erreurs de plume. Voici cette lettre, rapportée dans les Mémoires : « Mon ami, nous venons de perdre la meilleure des mères ; je t’annonce à regret ce coup funeste… Si tu savais combien de pleurs tes erreurs ont fait répandre à notre respectable mère, combien elles paraissent déplorables à tout ce qui pense et fait profession non-seulement de piété, mais de raison ; si tu le savais, peut-être cela contribuerait-il à t’ouvrir les yeux, à te faire renoncer à écrire ; et si le ciel, touché de nos vœux, permettait notre réunion, tu trouverais au milieu de nous tout le bonheur qu’on peut trouver sur la terre. » On voit par cette lettre qu’il ne s’agissait réellement que d’erreurs de loi et de pensée et non point de passion fatale. Autrement, que signifierait le conseil de ne plus écrire ? Quoi qu’il en soit, cette lettre, cette perte d’une mère qu’il n’avait pas revue et qui était morte en pleurant sur lui, ce fut là le coup de Damas qui frappa Chateaubriand et le ramona à la foi. Lui-même nous dit, dans la préface du Génie du christianisme : « Ma mère, après avoir été jetée, à soixante-douze ans, dans des cachots, où elle vit périr une partie de ses enfans, expira enfin sur un grabat, où ses malheurs l’avaient reléguée. Le souvenir de mes égaremens répandit sur ses derniers jours une grande amertume ; elle chargea, en mourant, une de mes sœurs de me rappeler à cette religion où j’avais été élevé. Ma sœur me manda le dernier vœu de ma mère ; je suis devenu chrétien. Je n’ai point cédé, j’en conviens, à de grandes lumières surnaturelles ; ma conviction est sortie du cœur ; j’ai pleuré et j’ai cru. « Chateaubriand caractérise ici en toute sincérité le genre de conversion qui le transforma tout d’un coup. Ce ne fut pas une conversion surnaturelle, comme celle de Pascal ou de saint Augustin. Ce fut un changement du cœur, peut-être même une simple conversion d’imagination. Peut-être encore n’a-t-il jamais su lui-même ce qui en était. Sainte-Beuve, si curieux de l’histoire psychologique des grands écrivains, a retrouvé un document qui peut servir à caractériser l’état d’esprit de Chateaubriand à cette époque. C’est la lettre à Fontanes, déjà citée, écrite à la fin de 1799, et dans laquelle, malgré la magnificence un peu exagérée de la forme, l’intimité même prouve toute sincérité. « Dieu, qui voyait que mon cœur ne marchait pas dans la voie inique de l’ambition ou dans les abominations de l’or, a bien su trouver l’endroit où il fallait frapper, puisque c’est lui qui en avait pétri l’argile. Il savait que j’aimais mes parens. Il m’en a privé afin que j’élevasse mes yeux vers lui ; il aura désormais toutes mes pensées. Je