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surexcitant les pires instincts, sont, par cela même, intelligibles à tous ; grande aussi la tentation de mettre ces œuvres à la portée de tous par des éditions à bas prix. En fait, la réforme projetée serait plus avantageuse pour les auteurs américains, qui, plus lus dans leur propre pays, seraient mieux payés par leurs éditeurs, que pour les éditeurs français, qui, depuis longtemps, paient les auteurs étrangers pour le privilège de les traduire.

Puis, enfin, de légitimes représailles sont possibles. La législation américaine assimile, en fait, le livre au brevet d’invention ; en refusant à l’auteur du livre ou de l’œuvre d’art la protection octroyée au détenteur du brevet, elle ne saurait trouver injuste que la France, levant l’interdiction de copier et d’imiter les procédés des inventeurs américains, prenne sa revanche de la piraterie littéraire et artistique dont ses nationaux sont victimes. En quoi une application d’Edison est-elle plus respectable que le livre de science où sont exposés et démontrés les principes dont cette application procède ? En quoi une machine ingénieuse diffère-t-elle, en tant que propriété personnelle, d’un livre ? L’une et l’autre procèdent du même pouvoir créateur, l’une et l’autre appartiennent à celui sans qui ni l’une ni l’autre n’existerait. L’inventeur emprunte autant aux idées ambiantes que l’écrivain ; tous deux puisent dans un fonds commun qu’ils enrichissent à leur tour, et leurs droits sont identiques.

Nul n’y contredit plus aux États-Unis. L’idée juste a fait sa trouée ; elle poursuit son chemin, et ce qui est pour surprendre n’est pas de la voir enfin s’imposer, mais qu’il lui ait fallu aussi longtemps pour s’imposer. On touche en effet au terme de cette longue controverse. La commission du sénat a conclu en faveur de l’adoption du bill. De son côté, le comité judiciaire de la chambre des représentais chargé de l’examen des bills a, le 19 janvier 1890, conclu dans le même sens et nommé un rapporteur favorable. M. de Kératry est reparti pour Washington sur la demande de ses mandans, reconnaissans du zèle et du dévoûment qu’il a mis au service de leur cause et prêt à concourir, avec M. Roustan, à la négociation d’un traité international dont M. Blaine est partisan ; Le gouvernement américain maintiendra peut-être ses exigences en ce qui concerne la composition et l’impression de la traduction anglaise aux États-Unis, mais non en ce qui concerne l’original, clause inadmissible et pour lui de nul avantage.

Ce que les auteurs et artistes français ont qualité pour réclamer, c’est qu’on ne puisse les dépouiller en les traduisant ou les reproduisant sans leur assentiment et sans rémunération aucune. Leurs légitimes prétentions auront reçu un commencement de satisfaction le jour où l’intervention de la loi américaine, leur assurant le droit