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Appleton, Lippincott et nombre d’autres s’indignaient des procédés employés pour dépouiller les auteurs étrangers et signalaient la défaveur qui en rejaillissait sur les États-Unis. Ces protestataires n’étaient encore qu’une minorité, mais une minorité active, intelligente, et dont les rangs grossissaient. A ceux dont la loyauté se soulevait contre une piraterie organisée et reconnue se joignait une nouvelle catégorie d’adhérens qui, depuis qu’on les pouvait piller, tenait le pillage pour chose odieuse. Nous voulons parler des inventeurs, et leur intervention en la matière établit, mieux que ne sauraient le faire de longs argumens, l’assimilation signalée plus haut, posée en principe en France d’abord, partout ailleurs ensuite, entre le droit des auteurs et le brevet d’invention.

Dans ce domaine de l’invention, les Américains, du premier coup, c’est-à-dire du jour où, sans cesser d’être agriculteurs, ils devinrent fabricans, étaient passés maîtres ; sur leurs ingénieuses découvertes reposait en partie leur grandeur industrielle naissante. Elle ne pouvait s’affermir qu’à la condition d’être protégée ; ils réclamaient donc la protection de la loi et, logiquement, étaient bien forcés d’admettre que l’intelligence est créatrice, que l’œuvre qu’elle crée, livre ou machine, est une propriété, à tout le moins un objet tangible constituant, au profit du créateur, des droits dont on ne saurait sans injustice le dépouiller. Pouvait-on, à moins d’évidente contradiction, disjoindre les effets d’une même cause ; soutenir que l’on pouvait copier le livre, mais non imiter la machine ; que le premier était du domaine public et la seconde du domaine privé ? Étrange plaidoyer pour une nation qui avait jusqu’ici argué de l’utilité générale et, plus qu’aucune autre, revendiqué les droits du grand nombre contre ceux de la minorité. Pour elle, à son point de vue pratique, la machine ingénieuse primait le livre le mieux fait, l’œuvre d’art la plus parfaite ; la machine était plus utile, plus nécessaire à tous, et c’est elle dont on restreindrait l’usage et dont, légalement, on ferait un monopole !

Aussi, du jour où la cause des inventeurs triompha, où les États-Unis consentirent une loi internationale pour la protection des brevets, et de cela il y a peu d’années, la cause de la propriété littéraire apparut sous un aspect nouveau. L’American Copyright Leagne se fonda, groupant autour d’elle les partisans de la protection littéraire et artistique, dont les tentatives isolées, vingt et une fois renouvelées auprès du congrès, n’avaient abouti qu’à six rapports, dont quatre favorables et deux adverses, les uns et les autres non suivis de vote. En 1&86, s’inspirant des vœux de la Copyright League, le sénateur Hawley saisissait la commission des brevets d’un projet de loi conférant aux auteurs étrangers des droits égaux à ceux que reconnaîtraient aux citoyens des États-Unis leurs pays