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s’exercer sur lui qu’à la condition de reproduire textuellement les passages qu’elle loue ou qu’elle incrimine. Ce droit ne saurait être contesté, mais ne saurait s’étendre au point de permettre la reproduction intégrale d’une brochure à sensation, par exemple, que l’on ferait suivre de quelques lignes ou de quelques pages de critique ; bien moins encore d’un livre. On a donc prudemment laissé aux tribunaux le soin de trancher les différends de cette nature, en s’en tenant à reconnaître le droit de citation de la critique.

Mais là ne se borne pas la citation. Peut-on, dans un ouvrage d’enseignement, prendre à un auteur, sans son autorisation, des extraits plus ou moins copieux de son livre ? Y a-t-il, en ce cas, abus du droit de citation ? Le fait de nommer l’auteur, d’indiquer la source à laquelle est puisé l’extrait, prescrit-il toute atteinte à ses droits ? Et, de même, dans une chrestomathie, peut-on, sans son assentiment, reproduire des morceaux choisis de ses œuvres, des pièces de vers, des scènes, des extraits de longue haleine ? Ces recueils sont aujourd’hui aussi nombreux que variés ; les anthologies abondent et les fragmens détachés, multiples et variés qu’elles mettent sous les yeux des lecteurs, ont pour but de leur donner, du talent de chaque écrivain, de ses qualités maîtresses, une idée juste et nette. À ce titre, elles sont utiles, mais leur utilité prévaut-elle contre les droits de l’auteur, et l’hommage qu’on lui rend compense-t-il le dommage qu’on lui cause, si dommage il y a ? C’est rarement le cas, mais l’abus se glisse partout, et le congrès a estimé que l’assentiment de l’auteur était nécessaire pour une reproduction partielle que le plus souvent il accorderait.

Depuis plusieurs années, les lectures publiques sont entrées dans nos mœurs. Nul n’a plus contribué à en propager le goût que M. Legouvé, et si son heureuse initiative n’a pas donné à tous ses émules son merveilleux talent de diction, elle a puissamment favorisé l’audition des morceaux choisis, des œuvres courtes et bien faites. Elle a même donné naissance à une littérature spéciale, saynètes et monologues, prose et poésie. N’est-ce pas porter une sérieuse atteinte aux droits des auteurs que de s’emparer de leurs œuvres pour en donner lecture devant un public payant ? Si le talent du lecteur est pour beaucoup dans l’affluence des auditeurs et dans le succès des morceaux choisis, l’auteur de ces morceaux n’a-t-il pas droit à une part des bénéfices perçus par le propriétaire de la salle et par l’interprète, et peut-on, sans entente préalable avec lui, exploiter son œuvre ?

Sur ce point, nul doute ; mais où le doute subsiste, c’est alors que la lecture publique est aussi gratuite, et que les auditeurs seuls bénéficient moralement de l’œuvre d’un auteur. À quoi l’auteur peut répondre que le bénéfice moral qu’il retire du fait d’être