Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 98.djvu/378

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lisbonne. Dans un rapport soumis au congrès tenu à Londres en 1879, il disait : « Le véritable adaptateur prend à l’auteur tout ce qu’il faut d’invention pour conserver l’originalité, l’individualité, l’intégrité de son produit ; il lui prend encore tout ce qu’il faut de matériaux d’exécution pour ne pas le dénaturer et le gâter dans ses développemens. Le reste, et c’est encore beaucoup, devient son œuvre à lui, œuvre de praticien, mais aussi de patience, de tact et de goût, qui demande un savoir des plus complets et une finesse d’observation bien peu vulgaire… Le rôle de l’adaptation n’est pas un rôle sans importance pour la littérature de chaque pays, tant s’en faut. Il peut, il doit rendre d’immenses services ; il les a déjà rendus, car ce rôle, lorsqu’il tombe dans les mains d’un homme de génie, comme il est tombé dans celles de Shakspeare, de Corneille, de Molière, coopère parfois aux innovations les plus hardies et aux chefs-d’œuvre les plus justement admirés. »

Les Cachemiriens distinguent, dit-on, à l’œil nu jusqu’à soixante nuances dans une seule couleur ; ce ne serait pas trop de l’acuité de leur vue pour discerner les nuances multiples qui séparent l’adaptateur, collaborateur intelligent de l’auteur, de l’adaptateur pirate qui confisque purement et simplement la propriété d’autrui. Plus nombreux, ces derniers pullulent : en Allemagne, où, débaptisant la Giralda, opéra comique français, on la représenta sous le nom de Pèlerinage de la reine, à Vienne où la Circassieme de Scribe s’appelle la Fatinitza, en Italie où le Supplice d’une femme de M. de Girardin devint, sans autre changement, la Buera, où Lucrezia Borgia a nom la Renégata, le lieu de la scène étant transféré de Ferrare en Turquie. Entre eux et l’adaptateur, créateur en sous-ordre, habile à mettre en relief les idées heureuses, à élaguer ce qui ferait tache ou longueur, la marge est grande, et si l’on ne saurait contredire le congrès déclarant que l’adaptation d’un roman à la scène ne peut être faite sans l’autorisation de l’auteur et que toute adaptation, quelle qu’elle soit, d’une œuvre originale est subordonnée à l’assentiment de celui qui l’a créée, on ne saurait disconvenir non plus qu’il surgira des questions spéciales qui ne pourront être tranchées au nom d’un principe rigoureux et relèveront des juges du fait dans chaque pays.

Autre question non moins délicate, car tout est complexe en cette matière d’une propriété qui n’est encore propriété que de nom : le droit de citation est-il absolu, et, s’il a des limites, quelles sont-elles ? La question a été discutée au congrès de Madrid en 1887, et le congrès de Madrid ne l’a pas tranchée. Citer, c’est copier et reproduire, et si la citation est souvent un hommage rendu à l’écrivain, elle peut être aussi un moyen de le piller impunément. En tant qu’auteur, il relève de la critique, et la critique ne saurait