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ses observations ou ses argumens, en en donnant un abrégé ; si c’est une œuvre d’imagination, en tirant de son roman une pièce de théâtre, en transportant ses personnages sur la scène ? Attente-t-on à son droit quand, à l’étranger, sous un titre et des noms autres, un adaptateur emprunte à son œuvre la donnée principale, les situations, modifiant dans le détail ce qu’elles peuvent avoir de trop exclusivement spécial au pays d’origine, substituant aux mœurs et coutumes locales les mœurs et les coutumes de son public, pour, d’un roman français, par exemple, tirer une pièce anglaise ou américaine ? Est-ce là traduire un roman ? et si la traduction est tenue pour œuvre personnelle, à combien plus forte raison le serait l’adaptation qui, n’empruntant aux conceptions de l’auteur que ce qui est de tous les temps et de tous les pays, néglige le reste, y ajoute des conceptions personnelles et peut ne rien prendre au texte !

À ce sujet, on ne manque pas de faire remarquer combien de nos pièces, et des meilleures, sont empruntées à des pièces vieillies ou démodées, au théâtre espagnol ou italien, aux anciens. Les plus grands écrivains, dit-on, n’ont pas dédaigné de puiser à ces sources, renouvelant par la magie du style, par un choix éclairé et un goût sûr des conceptions heureuses, mais mal venues et mal présentées, des idées ingénieuses insuffisamment développées. Ils prenaient leurs sujets et leurs effets à d’autres, qui eux-mêmes les tenaient de dramaturges profondément oubliés, de livres et de récits sans nom d’auteur. Dans ce fonds commun puisait qui voulait, rajeunissant et modernisant les détails, avec de vieux matériaux habilement équarris construisant une maison neuve.

Situations et données nouvelles sont rares, ajoutait-on. Qui peut se vanter de ne rien prendre, de ne rien devoir à ceux qui l’ont précédé ? Pour tirer d’un roman une pièce de théâtre, il faut un don particulier : il ne suffit pas que le roman soit intéressant pour que la pièce soit bonne ; que les idées et les situations du livre soient heureuses et bien exposées pour que la pièce réussisse. Il y faut autre chose : un tour de main spécial, une mise au point de la scène, une entente des choses du théâtre et une intuitive intelligence du goût du public, qui font de l’adaptation une œuvre essentiellement personnelle, l’auteur du livre lui-même y échouant souvent alors que l’adaptateur étranger y réussit parfois.

Sur ce thème on va loin. Il se prête à nombre d’ingénieuses variations, d’argumens d’autant plus spécieux que l’adaptateur habile n’est ni un traducteur, ni un copiste, qu’il fait œuvre de praticien, œuvre d’invention, de goût et de tact, qu’il devient un collaborateur de l’auteur et décide du succès. Ainsi l’entendait M. José da Silva Mendès Leal, ministre plénipotentiaire de Portugal à Paris, lui-même écrivain distingué et président du congrès de