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limitée à une durée successivement plus étendue. Entre la négation absolue de tous droits de jouissance et l’admission à tous les droits que comporte l’idée de propriété, il n’y avait, à l’origine, que ce terrain de transaction possible. C’est celui sur lequel s’est placé le législateur, sur lequel l’artiste et l’écrivain ont dû le suivre, qu’ils s’efforcent d’élargir en revendiquant et conquérant successivement les privilèges accessoires qui en font partie.

Et, tout d’abord, le droit de traduction. Si l’auteur est, pour un temps limité, propriétaire de son œuvre, ne l’est-il que dans la langue dans laquelle il l’a écrite, que dans le pays où il l’a créée ? A-t-on le droit de la lui prendre, de la faire passer en une langue et «n pays étrangers sans son assentiment, sans qu’il ait part aux bénéfices que traducteurs et éditeurs en peuvent retirer ? Évidemment non, en bonne logique, mais, pendant longtemps, évidemment oui en fait. Comment protéger, autrement que par des conventions internationales, l’auteur contre le traducteur étranger ? Comment obtenir de l’État qu’il prenne en mains les intérêts du premier contre le second et négocie pour les sauvegarder ?

De prime abord cela paraît aussi simple qu’équitable, chaque pays ayant, semble-t-il, même avantage à protéger les œuvres originales de ses nationaux. Mais tel n’est pas le cas. La production littéraire est inégalement répartie, abondante et riche ici, pauvre ailleurs, et les pays pauvres ayant plus d’intérêt à s’approprier, par la traduction, les œuvres étrangères qu’à protéger des œuvres originales que nul ne pille ou ne convoite. Puis, les idées, les découvertes étant du domaine public, comment et pourquoi interdire en quelque sorte la lecture d’un livre que tous ceux qui connaissent la langue dans laquelle il a été écrit peuvent lire, à ceux qui ignorent cette langue ? Pourquoi en empêcher la traduction s’il est utile, s’il est bon, si seulement il est agréable ?

Ni les lecteurs ne le désiraient, ni les auteurs ne le demandaient. L’ambition de ces derniers n’allait pas et ne va pas au-delà du droit de choisir leur traducteur, de s’assurer que sa traduction est exacte, d’avoir part aux bénéfices qu’elle procure à l’éditeur et à lui. Si équitable que soit cette prétention, elle s’est cependant heurtée à maintes reprises au mauvais vouloir du législateur, avant tout soucieux de favoriser la diffusion des lumières, les connaissances utiles, l’intelligence des littératures étrangères, et, pour cela, assimilant l’œuvre du traducteur au travail original. Les argumens ne lui faisaient pas défaut. Il y a, en effet, dans toute traduction, surtout si elle est réussie, un incontestable travail de production personnelle, une mesure de goût, de finesse tout individuelle ; mais de ce que le traducteur s’insinue habilement dans les idées de l’auteur, on ne saurait lui concéder que, ainsi que