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formation de l’eau pouvaient aussi jouer un rôle dans la production de la chaleur animale, ce qui est vrai. Mais il n’arriva cependant point à concevoir complètement le phénomène : l’ignorance qui régnait alors sur les lois de la chimie organique et la nature de ses composés ne permettait pas, même à un génie aussi pénétrant que le sien, d’aller au fond des choses. Pendant les dernières années de sa vie, il y revient sans cesse ; il cherche à serrer toujours de plus près le problème et à l’embrasser en quelque sorte de toutes parts. C’est ainsi qu’il y rattache d’abord les mesures qu’il avait faites de la chaleur de combustion du carbone et de l’hydrogène, mesures imparfaites d’ailleurs. Il étudie aussi avec soin les altérations de l’air respiré dans les réunions publiques et dans les hôpitaux.

A partir de 1789, il reprend avec Seguin la question tout entière. L’un des deux collaborateurs, Seguin, se dévoue pour rendre les résultats applicables directement à l’homme. Dans des appareils ingénieusement combinés, ils prennent soin d’absorber à mesure l’acide carbonique expiré et de restituer l’oxygène, afin de maintenir invariable la composition de l’air ; ils constatent qu’il n’y a ni dégagement ni absorption d’azote. Ils analysent et discutent les conditions qui maintiennent presque invariable la température du corps humain, placé dans les conditions extérieures les plus diverses ; ce qui les conduit à instituer une longue suite d’observations méthodiques sur la transpiration, et ils distinguent avec soin la perte de vapeur d’eau qui s’effectue par les poumons, de celle qui a lieu par la surface de la peau : c’est par cette double transpiration que la chaleur perdue éprouve son règlement. Enfin, embrassant la question sous les points de vue les plus divers, ils étudient l’influence des conditions physiologiques essentielles, celle de la digestion, du travail mécanique, des variations de la température extérieure, etc.

C’est là que se trouve pour la première fois, je crois, énoncée[1] l’assimilation, si souvent reproduite depuis, entre les effets physiques et mécaniques développés par le travail d’un homme de peine et les mêmes effets dus au travail de l’homme qui récite un discours, du musicien qui joue d’un instrument, ou même qui compose, aussi bien qu’au travail du philosophe qui réfléchit. « Ce n’est pas sans quelque justesse, ajoute Lavoisier, que la langue française a confondu sous la dénomination commune de travail les efforts de l’esprit, comme ceux du corps, le travail du cabinet et le travail de l’ouvrier. »

Sans s’arrêter davantage à ces aperçus de génie, que les

  1. Œuvres de Lavoisier, t. II, p. 697.