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différens étaient confondus par Priestley : notre azote, préparé par l’action des métaux sur l’air ordinaire, aussi bien que ce même azote souillé d’acide carbonique par la respiration animale, sont réunis par le savant anglais sous la dénomination commune d’air phlogistiqué ; confusion qui rend fort difficiles la lecture et l’intelligence exacte des écrits de Priestley. Quant au phlogistique, dont l’air se trouverait ainsi chargé d’après lui, il était réputé fourni par le sang noir ; la perte de ce phlogistique produirait le sang rouge. Les relations véritables qui existent entre le sang artériel et le sang veineux étaient ainsi renversées ; car nous savons maintenant que c’est au contraire le gain de l’oxygène qui fait le sang rouge, et sa perte qui fait le sang veineux. Crawford, appuyé sur les expériences de Prieslley, crut même pouvoir expliquer, en 1779, la chaleur animale par la différence entre les chaleurs spécifiques du sang veineux et du sang artériel, jointe à l’infériorité de celle de l’acide carbonique à celle de l’oxygène : hypothèse erronée en fait, et dont il est superflu démontrer aujourd’hui l’insuffisance. Cependant on a cru parfois devoir attribuer quelque rôle à Crawford dans la découverte des causes de la chaleur animale, en se fondant sur une seconde édition de son livre, publiée en 1788, et dans laquelle il a modifié ses idées, pour se rapprocher de celles de Lavoisier. Mais la découverte était faite à ce moment et la théorie éclaircie.

C’est Lavoisier qui en est le véritable auteur. Elle était liée d’une façon trop directe avec ses recherches sur l’oxydation des métaux et sur la combustion, pour que la suite logique de ses idées ne l’y conduisît pas. Voici comment il procéda : dans un mémoire lu à l’Académie des sciences, le 3 mai 1777, il reprend les faits observés par Priestley. Suivant son usage, il en ajoute de nouveaux et plus précis ; mais il y a dans son travail quelque chose de plus inattendu. En effet, Priestley n’avait pas bien compris la signification de ses découvertes. Lavoisier, qui en saisit le véritable sens, en tire, comme il l’a fait souvent dans le cours de ses recherches, des conséquences opposées à celles de Priestley. Il constate d’abord que l’air dépouillé d’oxygène par la formation du précipité per se, — c’est-à-dire par l’ébullition du mercure transformé graduellement en oxyde, — est devenu méphitique ; de même que l’air altéré par la respiration d’un oiseau. Mais ce dernier air renferme en outre de l’acide carbonique, qui n’existe point dans le premier. Lavoisier prend soin de rendre les deux airs résiduels identiques, en absorbant l’acide carbonique par la potasse ; ce qui n’y laisserait en principe subsister que de l’azote[1]. Cette identité des deux

  1. En supposant que la totalité de l’oxygène eût été consommée, ce qui n’a d’ailleurs point lieu en fait ; mais les conclusions demeurent les mêmes.