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fusion de la glace, procédé déjà essayé par un physicien suédois, Wilke, mais avec peu de succès. Laplace et Lavoisier le perfectionnent et le rendent rigoureux par l’emploi d’une enceinte de neige, qui protège la glace destinée à l’expérience contre les rayonnemens ambians, précaution nécessaire dans des expériences qui duraient jusqu’à vingt heures. Ils ont déterminé ainsi les chaleurs spécifiques de divers corps et surtout les chaleurs de combustion du charbon, de l’hydrogène et du phosphore, la chaleur de détonation du nitre avec le charbon et le soufre ; enfin, dans un autre ordre non moins intéressant, la chaleur dégagée par un cochon d’Inde vivant, enfermé dans l’appareil pendant dix heures, etc.

L’idée fondamentale qui les dirige au point de vue chimique est cette imagination imparfaite de Lavoisier, qui attribuait le principal rôle à l’oxygène et pensait que ce gaz fournit la chaleur de la combustion, empruntée à sa provision propre. L’inégalité entre les quantités de chaleur dégagées résulterait alors uniquement de ce qu’une portion de celle-ci demeurerait unie aux produits de la combinaison. C’est dans leurs expériences sur la détonation du charbon par le nitre que l’imperfection de leurs conceptions éclate plus particulièrement. Les auteurs n’avaient pas à ce moment cette notion plus étendue, que nous possédons aujourd’hui et d’après laquelle la chaleur dégagée dans les combinaisons ne préexiste point en réalité dans chacun des composans d’un système, envisagé séparément ; mais elle résulte d’un travail commun, accompli dans le rapprochement et l’échange des molécules hétérogènes. Quoi qu’il en soit, les données expérimentales de Lavoisier et Laplace furent pendant longtemps les seules qu’on ait possédées pour les théories chimiques, aussi bien que pour les applications pratiques. Si elles ont été, par suite des progrès inévitables de la science, perfectionnées depuis, cela ne diminue en rien le mérite des premiers promoteurs de la thermochimie.

Rappelons en terminant, et pour faire connaître plus complètement le caractère de leur œuvre et l’état des idées à cette époque, quelles questions théoriques on discutait alors : ce sont celles de la quantité absolue de chaleur contenue dans les corps, l’existence et la valeur du zéro absolu, le calcul de la chaleur de combinaison au moyen des chaleurs spécifiques des composés, comparées à celles des composans. Par exemple Crawford, en 1779, expliquait la chaleur dégagée dans la combustion et la respiration, en admettant qu’elle résultait de la diminution de la chaleur spécifique de l’oxygène, regardée par lui comme quatre-vingt-sept fois plus grande que celle de l’eau. Il rendait compte de la chaleur dégagée par la conversion de l’oxygène en acide carbonique en disant que ce dernier gaz possède une chaleur spécifique moindre que celle