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branches de la physique et de la chimie. Le problème y est envisagé d’une façon plus large que Lavoisier ne l’avait fait jusque-là.

M Les physiciens, disent nos auteurs, sont partagés sur la nature de la chaleur. Plusieurs d’entre eux la regardent comme un fluide répandu dans toute la nature et dont les corps sont plus ou moins pénétrés… Il peut se combiner avec eux, et dans cet état il cesse d’agir sur le thermomètre et de se communiquer d’un corps à l’autre. »

Cette opinion n’était autre que celle de la chaleur latente des physiciens ; c’était celle que Lavoisier avait soutenue jusque-là et qu’il reproduisit de la façon la plus expresse dans son Traité de chimie, publié sept ans plus tard. Mais, après avoir présenté cette première opinion, les deux auteurs ajoutent, dans un langage que les savans de notre temps ne désavoueraient pas : « D’autres physiciens pensent que la chaleur n’est que le résultat d’un mouvement insensible des molécules de la matière. On sait que les corps même les plus denses sont remplis d’un grand nombre de pores ou de petits vides… Ces espaces vides laissent à leurs parties insensibles la liberté d’osciller dans tous les sens, et il est naturel de penser que ces parties sont dans une agitation continuelle, qui, si elle augmente jusqu’à un certain point, peut les désunir et décomposer les corps : c’est ce mouvement intestin qui, suivant les physiciens dont nous parlons, constitue la chaleur[1]. »

Laplace et Lavoisier continuent leur exposé, en appliquant à la théorie de la chaleur le principe de la conservation des forces vives, la chaleur étant la force vive qui résulte des mouvemens insensibles des molécules d’un corps. Ils ajoutent qu’ils ne se prononcent pas entre les deux hypothèses, observant que « peut-être ont-elles lieu toutes les deux à la fois ; » ils déduisent de ces idées des conséquences qui sont demeurées celles de la science actuelle, relativement à la conservation de la chaleur dans le simple mélange des corps et à l’invariabilité de la somme des chaleurs dégagées ou absorbées, lorsque l’on revient à un même état primitif, après une suite de combinaisons ou de changemens d’états. Citons encore ce principe que « dans les changemens causés par la chaleur à l’état d’un système de corps, il y a toujours absorption de chaleur, » principe auquel il suffit d’ajouter qu’il n’est applicable qu’aux phénomènes réversibles, pour le mettre en harmonie avec la science actuelle.

On voit jusqu’à quel point les idées développées dans ce mémoire sur la chaleur sont demeurées, même aujourd’hui, les nôtres. Ces idées remontent d’ailleurs à des sources plus anciennes encore.

  1. Œuvres de Lavoisier, t. II, p. 285.