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partir les dix bataillons sous la conduite du marquis de Mirepoix. Mais quelle ne fut pas sa surprise, lorsque peu de jours après un nouveau commandement lui arrivait, et ce n’était plus seulement une fraction de ses troupes, c’était son armée tout entière qu’on lui enjoignait d’amener de sa personne à Plaisance ! L’ordre était exprès et, de plus, appuyé par une lettre du marquis de Mirepoix, lui faisant savoir qu’il avait trouvé un tel état de démoralisation dans le camp espagnol, qu’à moins de la prompte arrivée du secours attendu, on allait capituler et mettre bas les armes. Pour le coup, c’en était trop ! et le maréchal éprouva un véritable accès de désespoir. C’était bien la concentration qu’il avait toujours demandée, mais opérée au rebours du sens commun. Novi était la tête de sa ligne de communication avec la France, et le point d’où il pouvait couvrir la république de Gênes, notre alliée, dont la fidélité commençait à s’ébranler. Nul doute que cette position importante, à peine abandonnée par lui, serait occupée par les Piémontais, et toute son armée allait se trouver ainsi en l’air, sans aucune retraite préparée ni possible en cas de revers ; aussi, tout en se mettant en devoir d’obéir (il n’avait pas le choix), il voulut au moins se le faire dire à deux fois. Il se mit en marche en sollicitant un contre-ordre qu’il espérait recevoir en chemin : — « Je connais trop votre probité, écrivait-il à Mirepoix, pour croire que vous ayez part à l’avis qui détermine ma marche. J’espère qu’en bon citoyen et en homme sur qui je puis compter, vous ferez tous vos efforts pour ramener l’infant et son conseil à un parti plus salutaire pour la cause commune. » — Vain espoir ! une nouvelle lettre du prince arriva bien, en effet, mais ainsi conçue : « Je sens, à la vérité, que Gênes et la communication restent à découvert ; que vos magasins et les nôtres sont exposés et nos malades en danger d’être pris ; mais la situation où je me trouve exige absolument votre jonction. » — Le maréchal n’eut plus alors d’autre ressource que d’écrire au ministre de la guerre pour dégager sa responsabilité des conséquences : — « Je prends, disait-il, le parti d’obéir et d’abandonner les troupes du roi aux ordres supérieurs, je souhaite qu’elles s’en trouvent bien[1]. »

Faisant taire ensuite toutes ses répugnances, le maréchal marcha avec assez de diligence pour devancer, devant Plaisance, l’arrivée des Piémontais. Charles-Emmanuel s’attardait, comme il était aisé de le prévoir, à prendre possession des lieux que les Français abandonnaient. Grâce à ce retard, dont la cause était si fâcheuse,

  1. Mirepoix à Maillebois et Maillebois à Mirepoix, 5 et 6 juin 1746. — (Ministère de la guerre.) — Histoire des campagnes du maréchal de Maillebois par le marquis de Pezay, t. II, p. 240. — Maillebois au comte d’Argenson, 8 juin 1746. (Ministère de la guerre.)