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l’armée, et surtout les fautes ou les torts vrais et faux d’un rival[1].

Enfin, de guerre lasse, mais de très mauvaise grâce, Conti finit par céder. « Votre armée étant la plus nombreuse, dit-il à Maurice, c’est vous qui devez décider. » Par la même raison, le bon sens disait que c’était Maurice aussi qui devait commander ; mais Conti ne l’entendait pas ainsi. — « Un prince du sang, disait-il, qui a patente de général, ne doit obéir à personne, pas même à un maréchal de France. » Et il citait l’exemple du grand Condé, qui avait exigé dans sa dernière campagne que, non-seulement lui-même, mais son fils, prit le pas sur cinq maréchaux de France. Le débat devenait trop personnel pour être poursuivi directement entre les deux interlocuteurs, et Conti se retira sans annoncer ses intentions. Le lendemain, en apprenant qu’il avait demandé à Versailles la permission de quitter son poste et qu’il se préparait à partir :

« Aurai-je eu le malheur de vous déplaire, monseigneur ? écrivit sur-le-champ Maurice, un peu troublé de cette brusque résolution. J’ai plusieurs choses à régler auxquelles je ne suis point préparé. Voudriez-vous m’indiquer une heure pour prendre vos ordres et vous présenter mes respects ? » — « J’étais parti en chemin, répliqua sèchement le prince, quand j’ai reçu la lettre que vous m’avez écrite hier. C’est avec plaisir que j’eus (sic) conféré avec vous, si je n’avais pas été embarqué. Il est vrai que j’ai demandé au roi de m’en aller ; la façon dont nous avons été ensemble ne doit pas, monsieur le maréchal, vous faire imaginer que je me plaigne de vous. » Cette assurance, donnée du bout des lèvres, ne promettait rien de bon, et bien que Maurice demeurât, en réalité, maître du terrain, puisqu’un ordre ministériel ne tarda pas à mettre les deux armées sous son commandement, il n’en restait pas moins défiant, irrité et convaincu qu’il avait désormais à la cour un ennemi puissant et ne songeant qu’à le desservir. Il n’avait pas tort d’être inquiet, car Conti, malgré la surprise et le mécontentement général

  1. La correspondance du chevalier avec son frère est restée au ministère de la guerre avec tous les papiers du maréchal. Il se défend beaucoup d’avoir pris parti dans la querelle de Conti et du maréchal de Saxe. Mais il convient que Conti l’avait entretenu de sa manière de voir, et on voit que dans les jours qui suivirent l’altercation des deux généraux, il craignit lui-même sérieusement d’être arrêté. (4 et 14 août 1746.) — L’impatience de la conduite de Maurice était la même à Paris. Le comte de Loos, ministre de Saxe à Paris, écrit le 3 août au comte de Brühl : — « Le public est extrêmement surpris des nouvelles qui font juger (ainsi que cela est vrai) que le maréchal a ordre d’éviter d’en venir aux mains avec les alliés ; mais cette manœuvre n’est pas du goût de tout le monde et donne lieu de tenir toutes sortes de raisonnemens prématurés sur le compte du maréchal. — (Loos au comte de Brühl. — Archives de Dresde.)