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corps défendant et après de longues discussions, on aurait raison de ne m’en donner qu’à lèche-doigt ; mais comme je ne pense, ni ne songe et ne désire que le bien du service, on doit me confier les troupes sans crainte et avec la certitude que je serai toujours en état de les rendre[1]. » Du reste, le siège d’Anvers marchant bien et la citadelle se rendant au bout d’un mois, il n’y eut plus lieu à récriminations de part ni d’autre.

Avec l’autre prince, chargé de l’autre siège, les difficultés furent plus grandes encore et beaucoup moins heureusement terminées. D’abord Mons, mieux fortifié, mieux défendu ou moins habilement attaqué qu’Anvers, mit plus longtemps à se rendre. Puis, lorsqu’enfin, au bout de deux mois, la citadelle eut capitulé, la situation militaire avait fait un grand pas. Les alliés, ayant reçu, soit d’Angleterre, soit d’Autriche, tous les renforts qu’ils pouvaient attendre, se mettaient aussi en mouvement et débouchaient, sous les ordres du prince de Lorraine, entre Hasselt et Maëstricht, par la frontière de Hollande, avec des intentions agressives. Leur dessein était, visiblement, d’abord de couvrir Namur, dernière place (mais très importante) qu’ils possédaient encore sur le cours de la Meuse, puis de passer entre les deux armées françaises, rejetant celle de Conti sur la France et interrompant les communications de l’armée royale. Si ce double résultat était atteint, Bruxelles pouvait être repris et, Maurice se voyant obligé de se replier précipitamment pour ne pas être séparé de la France, toute la province était reconquise. Maurice n’hésita donc pas à se porter immédiatement avec toutes ses forces au-devant de l’ennemi. Laissant le roi retourner en France, pour assister aux couches de la dauphine, il quitta Bruxelles lui-même et vint à la rencontre du prince de Lorraine pour lui barrer le chemin de Namur. Les deux armées se firent face sur les rives du Mehaigne, petit affluent de la Meuse. Une action décisive pouvait être engagée d’un jour à l’autre. Maurice pria instamment Conti (il n’avait pas d’ordre à lui donner) de venir le rejoindre sans délai. L’invitation était d’autant plus naturelle que, par suite du mouvement que Maurice venait de faire, il s’était rapproché du théâtre des opérations de Conti, et les deux quartiers généraux n’étaient plus éloignés l’un de l’autre que par une distance de quelques lieues. C’était le théâtre où s’était jouée la partie la plus mémorable de la guerre de la succession d’Espagne et le lieu même où Marlborough avait infligé à la France un des plus

  1. Clermont à Mme de Pompadour et à Paris-Duvernay, mai, juin, juillet 1746. — (Ministère de la guerre. — Papiers de Condé.) — La correspondance avec Mme de Pompadour a lieu au moins une fois par semaine.