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circonscrite entre l’empire allemand et la France, l’Allemagne n’aurait peut-être pas un intérêt bien évident à se jeter dans une diversion qui ne serait pas sans péril.


III

Disons le mot. La vérité est qu’il ne peut pas y avoir, à l’heure qu’il est, de guerre circonscrite. L’Idée d’une marche à travers la Suisse se lie évidemment aux combinaisons diplomatiques qui font de l’Italie, de l’Italie encore plus que de l’Autriche, l’alliée active de l’Allemagne dans cette zone. C’est la triple alliance qui est le danger pour la neutralité suisse, puisque le territoire helvétique est le point nécessaire de jonction des deux armées destinées à se rencontrer pour aborder ensemble la frontière française du nord du Jura au Rhône, puisque l’Italie a accepté de joindre ses armes aux armes allemandes. C’est là le vrai problème, et pour tout dire, on ne peut que difficilement saisir le secret de cette intervention de l’Italie, qui, loin de simplifier les choses, ne ferait que les compliquer et les aggraver. Le motif du rôle qu’a pris l’Italie échappe réellement.

Lorsqu’en effet le chancelier de Berlin, préoccupé de défendre son œuvre, met toute son habileté à augmenter ses forces et à étendre ses alliances, lorsque, avec son pénétrant génie, il s’étudie à former ce qu’on appelle la ligue de la paix et ce qui n’est que la garantie de ses conquêtes, c’est tout simple ; on sait quelle est sa pensée ou son arrière-pensée, quel est son intérêt. On ne voit réellement pas jusqu’ici quel intérêt a eu l’Italie à se lier pour assurer à l’Allemagne l’Alsace-Lorraine, à accepter la solidarité d’une cause qui lui est étrangère ? Est-ce pour sa défense qu’elle est entrée dans cette alliance ? Il n’est pas un esprit sensé qui ne voie qu’elle n’est menacée ni dans son existence ni dans ses droits de nation, et que la France est la dernière puissance dont elle ait à redouter les agressions. S’est-elle décidée par l’espoir d’obtenir quelque avantage, Trieste, par exemple ? il n’est pas un politique clairvoyant qui ne comprenne que le jour où le port de Trieste échapperait à l’Autriche, il serait revendiqué par l’Allemagne elle-même, qui n’a pas d’autre débouché sur l’Adriatique, sur les mers du midi. Le reste ne vaut pas d’être pris au sérieux et ne peut être que la suite de ce qu’un éminent Italien, patriote de la première heure, a récemment appelé avec une spirituelle justesse la « mégalomanie. » C’est donc tout gratuitement que l’Italie nouvelle s’est placée dans cette situation où sans raison, sans nécessité, elle peut être entraînée à tourner