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ligne qui communique avec le Vorarlberg autrichien. Ils sont partout, ils tiennent tous les fils de ce vaste réseau ferré qui pourrait certes avoir une importance militaire.

C’est une sorte d’invasion financière d’autant plus significative qu’elle coïncide avec la prétention à peine déguisée, — l’incident Wolgemuth l’a prouvé l’an dernier, — d’avoir en Suisse une police secrète organisée, tolérée ou protégée par les pouvoirs fédéraux, et avec la déclaration de déchéance éventuelle que la diplomatie de Berlin a laissée suspendue sur la neutralité helvétique. Les Suisses ne se méprennent ni sur le sens, ni sur le danger de ce travail et de ces manifestations dont ils se sont émus, non sans raison, et contre lesquels ils semblent résolus à se tenir en garde. La question est de savoir si l’Allemagne, profitant de ses avantages et de sa puissance, croirait utile, en cas de guerre, de vaincre les résistances qu’elle rencontrerait et de passer outre. Tout peut dépendre des circonstances et des conditions dans lesquelles s’engagerait une lutte nouvelle.

Entrer en Suisse, si on en a la pensée, ne serait peut-être pas la difficulté. L’Allemagne a sur le Rhin suisse la frontière la plus accessible, la plus facile à forcer en même temps que la moins étendue. Le jour où elle le voudrait, où elle emploierait les moyens nécessaires, avec les chemins de fer dont elle dispose sur son propre territoire, elle pourrait amener devant Bâle des troupes suffisantes, une véritable armée, et s’ouvrir une route, dût cette route lui être disputée comme elle le serait infailliblement. A voir les choses de plus près, cependant, les Allemands auraient-ils un avantage réel à se jeter dans une opération qui commencerait par une brutale violation du droit et ferait d’un petit peuple justement fier de son indépendance un ennemi ? L’Allemagne, en empruntant le territoire suisse, ne pourrait avoir qu’un objectif : tourner les défenses de Belfort et du Lomont, marcher par Delemont, forcer les passages du Jura pour se porter sur le Doubs et de là tenter de gagner la Saône, la région entre Lyon et Paris. Soit, tout est possible ; mais enfin l’Allemagne, pour réaliser son plan, serait obligée de détacher de son front de bataille de la Meuse ou de la Moselle une armée considérable qu’elle engagerait dans un mouvement assez excentrique, loin de ses grandes concentrations. Cette armée, livrée à elle-même en pays ennemi, aurait à garder ses communications ; elle aurait à compter avec les défenses françaises qui ne sont pas toutes à Belfort et au Lomont, avec une armée française qui l’attendrait ou irait au-devant d’elle ; elle aurait aussi à compter avec l’armée suisse, qui ne resterait pas immobile sur son sol envahi. De sorte que, tout bien vu, s’il ne s’agissait que d’une guerre