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la plus exposée… En un mot, ce que les traités de 1815 présentaient de menaçant pour nous dans le nord n’est plus qu’un souvenir relégué dans l’histoire. Nous n’avons plus de ce côté aucune espèce de garantie à réclamer. » Il y avait aussi la politique qui s’était déclarée dès le début, qui devait reparaître aux derniers jours comme elle était apparue aux premiers jours de l’empire. On sait l’histoire de cette secrète et louche négociation dont la Belgique était l’objet après 1866, de ce traité que l’empire se laissait aller presque naïvement à ébaucher de sa propre main, pour l’édification de M. de Bismarck, que le chancelier mettait tout son art à garder, — pour finir par la foudroyante révélation d’un désastreux marchandage qu’il désavouait au mois de juillet 1870, quand il n’était plus intéressé à se taire. M. de Bismarck agissait certainement ce jour-là avec une audacieuse brutalité. Le projet après tout avait existé ! Et si le roi Léopold a senti ce qui l’avait menacé, si ces souvenirs ont laissé un trouble passager, quelque incertitude dans les relations des deux pays, il n’y a pas trop à s’en étonner. Mais l’empire n’a été qu’une déviation temporaire, une parenthèse malheureuse dans les affaires de la France.

Aujourd’hui tout est changé, la parenthèse est close : la France est rentrée tout naturellement dans ses traditions. La fortune a été dure pour elle, elle l’a du moins ramenée sur ce point à la vérité des situations, à la sincérité de ses rapports avec la Belgique, à ce rôle d’une puissance sympathique et désintéressée que définissait M. Thouvenel. Laissée à elle-même, la France ne peut évidemment avoir ni arrière-pensées de conquête ni préméditations envahissantes à l’égard d’un état libre et neutre qui est réellement une garantie pour elle, qui fait la sûreté de ses provinces du nord, dont la constitution, à la place d’un royaume organisé et armé autrefois contre sa frontière, a été un succès pour sa politique. Cette neutralité indépendante, en effet, la France, plus que toute autre puissance, a contribué à lui donner la vie. Elle l’a soutenue et protégée de ses armes ; elle l’a défendue par sa diplomatie dans les conseils de l’Europe. Tous ceux qui ont dirigé avec prévoyance les affaires françaises ont senti le prix de cette création nouvelle qui avait le double mérite d’effacer l’injure de 1815 et de remettre la paix sur un de nos confins. Quel intérêt aurait la France à rouvrir le champ de bataille des Flandres, à recommencer l’histoire des invasions contraires ? Elle ne songe sûrement à menacer la Belgique, libre et neutre, ni de ses velléités conquérantes, ni de propagandes désormais surannées. Elle n’a rien à demander de mieux que ce qui a existé depuis soixante ans, ce qui existe encore ; et si elle a été conduite à augmenter ou à renouveler ses défenses dans le nord, a