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recrutement à la nation tout entière, du service universel et obligatoire ! Et c’est ainsi que la Belgique, bien que simple état neutre, est entraînée comme tout le monde dans la voie des armemens, des dépenses militaires. Elle est entrée dans cette voie, on doit le croire, avec la préoccupation des dangers que peuvent lui créer les conditions nouvelles de l’Europe, la proximité d’armées puissantes, les chances de violations toujours possibles de territoire. Encore faudrait-il savoir où est le danger le plus réel, d’où il peut venir, jusqu’à quel point il est inévitable et imminent.

On dit à la vérité qu’il pourrait y avoir ici quelque arrière-pensée, que la Belgique céderait à une pression ou à la fascination du succès et de la force, que les fortifications de la Meuse, en apparence si plausibles, seraient surtout dirigées contre la France, que tout ce bruit en un mot ne servirait qu’à déguiser des connivences avec l’Allemagne. On dit que le roi Léopold II, qui passe pour avoir inspiré, dirigé l’agitation militaire en Belgique, serait par ses inclinations tout Allemand, qu’il se serait même lié par quelque pacte mystérieux[1]. On réveille le souvenir d’un protocole de 1818, du congrès d’Aix-la-Chapelle, auquel le roi Léopold Ier aurait été obligé de souscrire secrètement en 1831 et qui laisserait à la Prusse, au nom de l’Europe, un droit d’occupation sur la Meuse. Il y a mieux : dans une brochure assez récente, un ancien officier du génie belge, un ancien professeur d’art militaire, M. Girard, adversaire instruit, quoique passionné, des fortifications nouvelles, signale une particularité imprévue. Il prétend démontrer que cet article secret de 1831, dont on parle souvent, qui existe en effet, le roi Léopold Ier, après l’avoir signé, avait réussi à l’annuler, en démantelant les forteresses, et qu’aujourd’hui, par une insigne imprévoyance, on le fait revivre en relevant la place de Namur. De façon que la Prusse, qui a plus que toute autre puissance contribué à détruire l’ordre

  1. Cette question d’un traité secret, si souvent agitée un peu à tort et à travers depuis quelque temps, a été récemment encore l’objet d’une interpellation dans le parlement de Bruxelles. Le ministre des affaires étrangères, M. le prince de Chimay, traitant assez sévèrement les inventeurs de « renseignemens imaginaires » et de « documens fabriqués, » répondait en disant : « Le gouvernement belge connaît les devoirs que lui impose la neutralité qui lui est garantie, et il les respecte jusqu’au scrupule. Dire qu’il aurait violé ces devoirs par des traités, qu’il aurait pris des engagemens avec ses voisins, c’est inventer une fable ridicule. La Belgique est libre, absolument libre dans les termes des traités qui ont consacré son indépendance. » Tous les hommes politiques belges au pouvoir ou hors du pouvoir tiennent le même langage. On peut dire sans doute que cela ne prouve rien, que, s’il y avait un traité secret, on ne l’avouerait pas ; on peut dire aussi qu’un traité ne répondrait à rien ou serait au moins inutile, que, si on le voulait, on pourrait le signer en un quart d’heure, au moment d’une guerre, sans avoir besoin de se lier d’avance pour toutes les éventualités prévues ou imprévues.