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de toutes parts, pesant sur ses voisins de tout son poids, par l’intimidation ou les captations comme par les alliances. Entre les deux puissans adversaires, la Belgique, la Suisse se sentent pressées, menacées, peu ou mal protégées par la légalité européenne, et d’autant plus jalouses de se défendre par leurs propres forces, de sauvegarder leur indépendance et leur inviolabilité. Telle est la situation ! Ce qu’il y a de mieux, c’est de la voir dans sa vérité, c’est de saisir sur le terrain même cette possibilité d’une offensive débordant la frontière centrale, s’enfonçant dans le flanc de la France, — ou, si l’on veut, réciproquement, menaçant l’Allemagne, — par la Meuse et par le Jura.

Serrons les faits de plus près pour la Belgique. Ce n’est pas d’aujourd’hui, on le sait bien, que le pays belge est exposé à subir le contre-coup des commotions européennes, qu’il peut être tour à tour un objet de dispute, un lieu de passage ou une « barrière, » suivant le mot des vieux actes diplomatiques. Il y a longtemps qu’il est admis, — c’est devenu une sorte d’axiome militaire, — que les régions de la Flandre, du Hainaut, sont un champ de bataille traditionnel, que la vallée de Sambre-et-Meuse est le grand chemin des invasions, — pour la France sur l’Allemagne du nord par le Rhin inférieur, — pour l’Allemagne sur Paris par la France du nord. Depuis César jusqu’à Napoléon, de tout temps la guerre a passé par là, par Charleroi et Namur comme par la Lys et l’Escaut. Lens et Senef, Steinkerque et Nerwinde, Fleurus, Jemmapes et bien d’autres, sans oublier même Malplaquet et Waterloo, sont des noms belges. C’est dans ces contrées que se sont vidées les grandes querelles ; mais c’est qu’alors c’était le pays contesté entre tous, le premier nécessairement exposé aux invasions, au choc des armées. Entre la France, pressée au nord, impatiente d’assurer ou d’étendre sa frontière, et les maîtres successifs de ces territoires qui se sont appelés les Pays-Bas espagnols, les Pays-Bas autrichiens, le duel était inévitable ; le théâtre était tout tracé dans ces Flandres ouvertes aux armées, aux coalitions, où l’Autriche campait encore en 1789. La révolution n’a été qu’une phase nouvelle de cette lutte qui faisait un instant, au commencement du siècle, des provinces belges une possession française, et dont le dénoûment, momentané aussi, en 1815, était la création, sous le nom de royaume des Pays-Bas, d’un poste avancé et fortifié contre la France. Tant que le contact a duré entre puissances rivales sur cette frontière, la guerre en Flandre était une fatalité.

Aujourd’hui, et c’est là le fait nouveau qui commande tout, à la place de cette zone vouée par destination à la guerre, toujours disputée, il y a une zone interposée, fermée aux invasions, au moins légalement inviolable. Il y a une neutralité née d’une révolution