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conquêtes. Il a eu l’habileté de réunir sous sa main et à son profit des nations ou des gouvernemens presque ennemis, entre lesquels il n’y a d’autre lien que sa volonté, — l’Autriche vaincue par lui et par lui bannie de l’Allemagne, l’Italie née d’hier et déjà impatiente de jouer sa fortune pour un mirage d’ambition et de fausse grandeur. Par le fait, la triple alliance, qu’il n’a pas tenu à lui d’étendre encore, n’est qu’une combinaison de stratégie où il y a un chef qui règle la marche, et des alliés qui ne sont que des subordonnés dévouant leurs ressources et leurs soldats pour assurer la suprématie allemande. Le nouveau dominateur en est à sa vingtième année de règne et de succès depuis la dernière guerre. En cela, il a été plus heureux que Napoléon, qui n’a guère duré que dix ans.

Quand les chefs du nouvel empire allemand protestent que dans tout ce qu’ils font ils ne veulent que la paix, ils sont sincères à leur manière sans doute, puisqu’ils y sont intéressés ; mais les prépondérances, qu’elles durent vingt ans ou dix ans, qu’elles s’appellent l’Allemagne ou la France, sont toujours les mêmes, et il n’est point d’art au monde qui puisse en voiler les caractères ni en détourner indéfiniment les conséquences. C’est leur fatalité d’être justement le contraire de l’équilibre et de la paix, de perpétuer l’état de guerre, ou, si l’on veut, de a préparation à la guerre, » et en multipliant leurs arméniens, leurs alliances militaires, de contraindre les autres à s’armer à leur tour, à s’allier, s’ils le peuvent, dans un intérêt commun de protection. C’est leur malheur, ou leur secrète faiblesse, de se croire toujours menacées, et, sous prétexte de se défendre, d’être sans cesse entraînées à des extensions nouvelles, de finir par ébranler tous les droits, toutes les indépendances, toutes les conditions de l’ordre universel. De là cette situation extraordinaire où les neutralités elles-mêmes ne sont plus en sûreté, où retentissent de temps à autre ces étranges déclarations : « La force prime le droit ! » — « Il n’y a plus d’Europe ! » où l’on parle couramment enfin, dans les polémiques, des provinces qu’on se promet de distribuer, des territoires libres qu’on violera à la prochaine guerre.


I

Qu’en sera-t-il réellement de ces neutralités reconnues par des contrats européens, respectées jusqu’ici comme des garanties de paix ou comme des limitations nécessaires des grands conflits, et maintenant contestées ou menacées ? On remarquera que cette question n’est qu’une suite des événemens qui ont si sensiblement modifié ce qu’on appelait autrefois l’échiquier de l’Europe, en élevant