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Ce serait sans aucun doute juger trop légèrement les choses que de voir dans les derniers rescrits impériaux une simple tactique électorale. Évidemment ce n’est là que le plus petit côté. Le jeune souverain allemand, sans être indifférent pour les élections, a eu une autre pensée. Il s’est jeté dans la mêlée avec l’impatience et l’ardeur sérieuse d’un esprit agité qui ne connaît pas d’obstacles, qui a hâte d’inaugurer une politique nouvelle, à la fois intérieure et internationale. C’est certainement un fait nouveau et grave qu’un prince, chef d’un grand empire, appelant ses conseillers d’état et les représentans de l’Europe à délibérer sur les questions sociales les plus ardues et les plus délicates : « la protection à accorder aux ouvriers contre l’exploitation arbitraire et sans limites des forces du travail, la limitation du travail des enfans et des femmes, la taxation des salaires, la représentation des travailleurs dans les négociations avec les patrons pour le règlement de leur activité commune et la sauvegarde de leurs intérêts. » L’empereur Guillaume II parle sans façon ce langage et soulève sans embarras tous ces problèmes. Il a déjà réuni son conseil d’état, il lui a tracé son programme de réformes sociales : le conseil d’état prussien décidera ce qu’il pourra, et sera peut-être assez embarrassé, plus embarrassé que le souverain dans ses discours. Pour la réunion de la conférence internationale, qui est aussi une partie du programme des rescrits, c’est une autre affaire : elle ne laisse pas de soulever de singulières difficultés. La première est qu’il y avait déjà une conférence qui devait se réunir à Berne pour le même objet. Le cabinet allemand a été nécessairement obligé de négocier d’abord avec le gouvernement suisse pour que la conférence de Berne consentît à s’éclipser devant la conférence projetée à Berlin. Cette première difficulté une fois écartée, les puissances auxquelles on fait appel consentent à se rendre à Berlin, au congrès du travail : soit ! ni l’Angleterre ni la France ne peuvent sûrement accepter sans faire les plus sérieuses réserves. On n’imagine pas facilement les grandes nations industrielles se réunissant sous les auspices du jeune empereur d’Allemagne pour adopter en quelques séances un symbole commun, des règles communes sur les conditions du travail, sur les rapports des patrons et des ouvriers. Les conférences de ce genre sont destinées à finir par des mécomptes.

De sorte que l’empereur Guillaume II risque d’être aussi peu avancé le lendemain que la veille, et peut se retrouver, sans avoir rien fait, en face de ce socialisme grandissant, menaçant, dont les élections du 20 février sont l’inquiétante expression. Que fera-t-il alors ? Se rejettera-t-il, après une tentative infructueuse, dans un redoublement de répressions contre des agitations qui peuvent devenir dangereuses pour l’empire ? Ira-t-il jusqu’au bout, jusqu’à se faire l’empereur des travailleurs, une sorte de César socialiste armé de sa puissance